L'épopée d'amour
deux femmes étaient à peine vêtues ; leurs seins nus débordaient de leurs corsages ouverts ; elles avaient les cheveux dénoués et le visage peint. Elles étaient jolies, malgré la flétrissure de la débauche ; c’étaient deux fortes gaillardes, telles que les aimait Montluc, l’une rousse, d’un roux ardent comme une bête fauve, l’autre brune, avec une magnifique chevelure d’Espagnole. Ces deux femmes étaient des ribaudes…
La rousse se nommait tout simplement la Roussotte, et elle-même ne se connaissait pas d’autre nom.
La brune s’appelait Pâquette.
Toutes deux étaient douces, inoffensives, très bêtes, même pas fières de la splendeur un peu fanée de leurs chairs, dociles, passives, et enfin très honnêtes, attendu que contre la somme d’argent qui leur était dévolue, elles faisaient les plus louables efforts pour plaire à l’inconnu qui, pour une heure, devenait leur seigneur et maître.
Marc de Montluc vida d’un trait le large et profond gobelet qui venait de lui être présenté, puis il répéta :
– A boire ! J’ai l’enfer dans la gorge.
– Ce doit être ce jambon, observa la Roussotte.
– Ou plutôt les épices de ce quartier de chevreuil, riposta Pâquette déjà jalouse.
– Quoi que ce soit, j’enrage, mes mignonnettes, j’enrage de soif et d’amour.
– Buvez donc, monseigneur ! dirent ensemble les deux ribaudes qui, saisissant chacune un flacon, se mirent à verser en même temps dans le fameux gobelet ; ce que voyant, Montluc éclata d’un tel rire que les vaisselles en tremblèrent.
Ce repas, cette orgie plutôt, fut ce qu’il devait être. Montluc qui était déjà ivre lorsque Maurevert était arrivé, eut de plus en plus soif. Les ribaudes, à force de boire, se firent bacchantes. Vers dix heures, elles avaient fini par laisser tomber les robes légères qui les couvraient encore ; elles étaient entièrement nues, et Montluc, faune formidable, s’amusait dans son énorme gaieté à les porter toutes les deux à bras tendus, la Roussotte, à cheval sur le bras droit, Pâquette, à cheval sur le bras gauche. Puis il s’amusa encore à les envoyer au plafond comme des balles et à les recevoir dans ses bras. Elles riaient, écorchées d’ailleurs et toutes contuses. Pâquette avait une plaie au front. La Roussotte saignait du nez. La gaieté de Montluc devenait du délire. Parmi les vaisselles brisées, les flacons renversés, il imagina alors de lutter contre les deux ribaudes.
– Si je suis vaincu, hurla-t-il, je vous promets une récompense rare. Tête et ventre ! La reine mère en serait jalouse !
La lutte commença aussitôt. Les deux ribaudes attaquèrent le colosse. Les trois nudités s’étreignirent en des enlacements furieux et formèrent un groupe cynique dont les attitudes furent des chefs-d’œuvre d’insolente impudeur.
Le mâle se laissa terrasser, accablé de baisers, de morsures et de coups de griffe, remplissant la salle du tonnerre de son rire.
– Voyons la récompense ! crièrent en chœur la Roussotte et Pâquette.
– La récompense, bégaya Montluc, ah ! oui…
– Est-ce ce beau collier que vous nous fîtes voir ? demanda Pâquette.
– Non, par le diable, c’est mieux que cela !
– Doux Jésus ! s’écria la Roussotte, cette ceinture toute en soie bleue passementée d’or ?
– Mieux encore, fit l’ivrogne en cherchant à rassembler ses idées, je veux… vous mener… écoutez, mes brebis…
– Voir les baladins ! s’écrièrent les ribaudes en frappant des mains.
– Non… voir torturer…
La Roussotte et Pâquette se regardèrent inquiètes, dégrisées, un peu pâles.
Montluc asséna sur la table un coup de poing qui renversa un flambeau.
– A boire ! dit-il. Je veux… vous mener… à la question… vous verrez le chevalet… et comme on enfonce… les coins… ah ! ah !… ce sera beau, par saint Marc ! Il y aura deux questionnés… ils n’en sortiront pas vivants, à boire !
– Qu’ont-ils fait ? demanda Pâquette en frissonnant.
– Rien, dit Montluc.
– Sont-ils jeunes ? vieux ? gentilshommes ?
– Un vieux… monsieur de Pardaillan… et un jeune… monsieur de Pardaillan… le père et le fils…
Les deux ribaudes firent le signe de croix.
Lorsque le rire de Montluc se fut apaisé, la Roussotte demanda :
– Et quand verrons-nous appliquer la question, monseigneur ?
– Quand ? fit Montluc. Ah ! voilà… Attendez…
Un travail confus
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