L'épopée des Gaulois

Ogmios et que les anciens Irlandais nomment Ogma 7 . Et il n’est pas difficile de reconnaître à travers ce personnage gigantesque la figure du dieu Dagda des épopées irlandaises, ainsi que celle du Gargantua traditionnel, revu, corrigé et mis en scène par Rabelais.
    Pendant le III e  siècle de notre ère, il n’est aucun auteur qui puisse être signalé comme apportant quelque chose à notre connaissance des épopées gauloises. C’est une période de troubles, voire de décadence, où l’Empire romain se dissout plus ou moins dans ses contradictions. Il y a bien des révoltes gauloises en ce siècle, mais elles n’ont plus rien à voir avec la tradition celtique elle-même : ce sont seulement des épiphénomènes liés à la lutte sans merci que se livraient différentes factions politiques ou militaires sans scrupules au sein de l’Empire romain pour s’assurer un pouvoir suprême qui se révélait toujours fragile et éphémère. Les soi-disant empereurs gaulois ne furent que des citoyens romains qui avaient tout oublié de leurs ancêtres.
    Le seul auteur de cette époque qu’on puisse citer est le rhéteur et grammairien grec Athénée, né vers 205 en Égypte, et qui enseigna à Alexandrie et à Rome. L’unique ouvrage qui nous reste de lui est le Deipnosophistes (Banquet des savants) en 15 livres, qui constitue un recueil des renseignements glanés par le grammairien dans des ouvrages aujourd’hui perdus, dans lesquels il y avait de fréquentes allusions aux Gaulois.
    Cependant, au IV e  siècle, le goût pour les antiquités refait surface et certains écrivains se chargent de réveiller un public blasé et sans idéal par l’évocation de faits héroïques remontant à la nuit des temps. C’est le cas pour l’historien latin Ammien Marcellin, né à Antioche vers 330, et qui fut militaire en Italie et en Gaule sous le règne de l’empereur Constance Chlore. Lors de sa retraite, il écrivit un important ouvrage, Rerum Gestarum Libri XXXI (Les 31 livres des choses accomplies) où il se proposait de continuer l’œuvre de Tacite. Les treize premiers livres sont perdus, mais ce qui subsiste est du plus haut intérêt. En effet, non seulement Ammien Marcellin, grâce à sa présence en Gaule, a puisé d’importantes informations dans ce qui restait de la mémoire populaire, mais il a cité des fragments d’ouvrages antérieurs aujourd’hui perdus, en particulier de Timagène, ce qui nous ramène aux sources mêmes de l’épopée traditionnelle des peuples gaulois.
    Il reste à terminer cette liste – qui peut paraître arbitraire mais qui est la conséquence du sujet choisi, en l’occurrence une épopée gauloise à retrouver – par un seul nom, celui de Procope. Ce chroniqueur byzantin du VI e  siècle est né à Césarée, en Palestine, et il est mort en 562 à Constantinople. C’était un habitué de la cour de Byzance dont il connaissait toutes les intrigues, y compris les secrets d’alcôve. Il est trop souvent partial et mauvaise langue, mais dans les contacts qu’il a eus avec des « Barbares », il a puisé des informations précieuses. C’est ainsi que, dans son ouvrage La Guerre des Goths , il nous livre des indications très précises sur les croyances des Celtes de l’Atlantique, indications qui seront ensuite corroborées par de nombreux contes populaires de Bretagne armoricaine 8 .
    Mais Procope appartient à une époque chrétienne où la tradition dite païenne est refoulée au niveau de l’inconscient collectif. Il faudra attendre les moines irlandais du VII e  siècle pour que cette tradition refasse surface, presque officiellement, dans les abbayes du bout du monde. Sur le continent, plus personne ne s’intéresse à ce qui s’est passé avant. L’épopée des Gaulois semble avoir disparu à jamais.
    Ce n’est qu’une apparence. Quand on explore attentivement les documents que le temps a préservés, bien qu’ils soient épars et fragmentaires dans les œuvres d’une multitude d’auteurs, on parvient à retrouver les grandes lignes de cette épopée gauloise telle qu’elle a été vécue – et très souvent rêvée – par les générations qui se sont succédé sur le territoire de la Gaule. Certes, la reconstituer dans sa totalité n’est pas pensable. Mais on peut toujours tenter une reconstitution conjecturale. Et puis, ce n’est pas faire injure aux Gaulois de prétendre que c’étaient des rêveurs… « Avant de livrer bataille