Les amours blessées
son arrivée. Tout et chacun se tiennent dès à présent à votre disposition.
Pierre me rapporta plus tard le propos qui nous fit bien rire.
Jacques de Cintré, satisfait d’avoir à domicile un compagnon de son âge, entraîna son cousin qui partageait son goût pour la chasse vers le chenil. Il voulait lui faire admirer une meute dont il s’occupait avec un soin jaloux.
Toujours discrète, Catherine se contenta, le soir venu, d’entretenir leur hôte de musique, de poésie et de notre voisinage.
C’est ainsi que, sans m’en douter le moins du monde, je me trouvais vivre fort près d’un admirateur que je croyais reparti à la suite de la Cour pour Romorantin…
Aussi ne songeais-je point à lui le surlendemain du bal en allant herboriser sous la surveillance de Nourrice dans les bois de Talcy.
Tu sais combien mon père était fier de son château. Grâce à la faveur royale, il avait obtenu de le doter d’une porte fortifiée qui flattait son amour-propre. Pour d’autres raisons, plus instinctives, j’ai toujours été, moi aussi, fort attachée à cette belle demeure qui domine avec tant de noblesse notre petite Beauce. Tu n’ignores pas non plus ma peine quand il m’a fallu la quitter. Les pelouses de la cour intérieure ont vu mes premiers pas, l’eau de notre puits reste pour moi la meilleure. Le verger fut mon innocent paradis. En automne, nos bois qui s’étendent jusqu’à la forêt de Marchenoir, m’éblouissaient de leur éclatante agonie ambrée. J’y ai beaucoup couru, beaucoup rêvé aussi…
Ce jour d’avril, je cherchais de jeunes crosses de fougère, des jacinthes sauvages, des brins de mousse ou de lichen afin d’enrichir l’herbier que je composais depuis plusieurs mois.
Un panier au bras, la tête encore remplie des agréables souvenirs du bal, je marchais le long d’un sentier bordé de hêtres, sans trop me soucier des bavardages de Marcelline qui se croyait encore obligée de me traiter comme si j’étais toujours en lisière. Excédée par ses continuelles remontrances qui m’empêchaient de me recueillir dans l’évocation de mon récent triomphe, je me décidai assez vite à la rabrouer.
— Va plutôt t’occuper de Marie, de Jeanne et de Jacqueline qui ont sûrement besoin de toi ! lui conseillai-je, à bout de patience. Je ne suis plus une enfant ! Je peux fort bien rester seule ici sans me faire dévorer par le loup !
Nourrice grogna, mais se le tint pour dit. Elle s’éloigna en haussant ses épaules alourdies comme toute sa personne par une graisse envahissante.
Subissant encore son autorité sans regimber, mes petites sœurs lui procuraient plus de contentement que moi. Toute ma vie je me suis montrée obstinée. Je cache, tu le sais, sous une douceur apparente, une volonté passionnée d’indépendance et une profonde horreur d’un joug quel qu’il soit…
Je me retrouvai donc seule avec plaisir dans le sous-bois que j’affectionnais. Le printemps éclatait avec cette impudeur, cette allégresse, qu’il ne libère complètement qu’à la campagne. Je me souviens du goût de sève que j’avais aux lèvres, de la tiédeur du soleil qui s’insinuait sans difficulté entre les jeunes ramures aux feuilles fragiles, du chant victorieux des merles, du vrombissement des mouches…
Simplement vêtue d’une cotte d’étamine blanche, les cheveux épars sur les épaules, j’étais en négligé. Je me souciais peu de mon apparence que seuls les écureuils et les lézards étaient à même de remarquer.
Poursuivant ma quête, je m’enfonçais sous la futaie quand un bruit de brindilles piétinées, brisées, m’alerta. Je dus paraître inquiète.
— N’ayez crainte, demoiselle, n’ayez crainte ! lança non loin de moi une voix masculine. Je ne suis ni larron ni maraudeur, je ne suis que poète !
Se détachant d’un tronc derrière lequel il s’était sans doute glissé à la dérobée pour me guetter, Ronsard fit quelques pas dans ma direction, me salua.
Si je jouai la surprise, je ne suis pas certaine d’avoir été réellement étonnée. Mon cavalier ne m’avait-il pas assurée à Blois que nous ne tarderions pas à nous revoir ?
Quelles que soient son inexpérience, sa candeur, une femme pressent toujours l’attrait qu’un homme éprouve à son endroit. Une sorte de connaissance diffuse et spontanée éclôt et se développe en elle, sans que rien ait été dit, parfois avant que son soupirant le sache lui-même, alors
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