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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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remarqua-t-il en retrouvant son air hardi. Écuyer du duc d’Orléans, j’y exprime les sentiments d’un partisan du Dauphin ! Or, chacun sait que les deux frères se haïssent. Autour d’eux, tout le monde intrigue à la Cour en fonction de cette haine. Il faut être pour l’un ou pour l’autre. Et voilà que je prends fait et cause pour celui qui n’est pas mon maître ! On n’est pas plus maladroit !
    — Ou plus courageux, dis-je doucement.
    — Je ne puis que vous approuver de défendre l’intégrité du royaume et les intérêts de la dynastie, assura ma mère. Vous témoignez ce faisant d’une belle loyauté… Mais vos vers ne sont pas encore publiés, que je sache. Ils ne risquent donc pas de vous nuire.
    — Je ne me contente pas d’écrire ce que je pense, madame, au besoin, je le fais savoir !
    Il y eut un silence. On entendait grincer dans la cour la poulie du puits. Au loin, des voix sonores de valets s’interpellaient.
    — Je ne suis pas encore assez sûr de mon art pour me permettre d’offrir mes odes au public, reprit Pierre. J’ai d’abord souhaité écrire des épopées ou des tragédies. Je ne suis plus certain à présent d’en être capable. La poésie lyrique me semble plus adaptée à mes dons. Tel que vous me voyez, je n’ai pas encore choisi. Votre avis peut m’être d’un grand secours.
    Le bref coup d’œil que ma mère lui lança traduisait un étonnement amusé. Quoi, ce pourfendeur de gloires établies, ce novateur qui prétendait, le soir du bal, transformer la poésie française, pouvait donc, à ses heures, faire preuve d’humilité ?
    Elle allait lui poser une question quand le bruit d’une galopade, des éclats de voix, un rire vainqueur, fusèrent du côté du portail.
    — Je n’attends pas de compagnie aujourd’hui, dit ma mère avec surprise. Qui donc vient nous rendre visite sans s’être fait annoncer ?
    Elle fut vite renseignée. Un domestique vint la prévenir que madame de Cintré demandait à la saluer.
    — Qu’elle entre, qu’elle entre, répondit ma mère sans beaucoup d’enthousiasme, tout en se levant pour s’avancer au-devant de la nouvelle venue.
    — Je passais. J’ai eu envie de vous voir, et me voilà ! s’écria Gabrielle en faisant, comme à l’accoutumée, une entrée fracassante. Je ne pouvais demeurer enfermée chez moi par un temps pareil !
    Sa robe à chevaucher en velours émeraude donnait un regain d’éclat à sa carnation de rousse.
    Avant de nous adresser son plus radieux sourire, elle s’assura d’un coup d’œil que celui qu’elle poursuivait se trouvait bien là.
    — Par ma foi, Pierre, j’avais oublié que vous songiez à vous rendre à Talcy, ajouta-t-elle avec une impudence tranquille. Je ne pensais pas vous y rencontrer.
    — Madame Salviati a la bonté de s’intéresser à mes poèmes, dit Ronsard, visiblement mal à l’aise.
    — Sa fille en fait tout autant, à ce que je vois, constata Gabrielle d’un air entendu. Il est vrai que vous vous trouvez ici dans une famille où les muses sont à l’honneur.
    Elle étrennait un bonnet-chaperon enrichi de perles qui la rajeunissait en encadrant habilement son visage fardé.
    — Comment se porte ce bon Gaspard ? s’enquit ma mère qui, en toutes circonstances, se comportait selon un code de civilités immuable.
    — Comme un homme alourdi par la mangeaille et les bons vins, répondit notre visiteuse qui n’était pas tendre, pesamment !
    Ronsard se pencha vers moi pendant qu’une servante offrait sucreries et épices confites.
    — Catherine m’a dit que vous aimiez les jardins. Je partage ce penchant. Ne voudriez-vous pas me faire les honneurs du vôtre ?
    — Pourquoi pas ? Nourrice doit encore se trouver dans le verger avec mes sœurs.
    Ma mère se tourna vers Pierre.
    — Si vous aimez les jardins, j’ose croire que le nôtre ne vous déplaira pas. Il est assez joli en ce moment. Peut-être vous inspirera-t-il…
    Je savais combien elle avait l’ouïe fine et que son attention n’était jamais en défaut. Il lui fallait cependant être singulièrement en alerte pour avoir saisi nos paroles en dépit du verbiage de Gabrielle !
    — Si vous le permettez, maman, je pourrais emmener monsieur de Ronsard jusqu’au verger. Marcelline y garde les petites.
    — Va, mon enfant, va, et tâche de faire partager à notre hôte le goût que tu as pour ce coin de terre.
    Elle souriait avec urbanité, mais Pierre se demandait

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