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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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délicieux était donc arrivé ! Je n’étais plus une petite fille ! Les sentiments que Pierre ne se cachait pas d’éprouver à mon égard me paraient à mes propres yeux du prestige des adultes qui ont seuls le privilège de se mouvoir à l’aise dans le séduisant empyrée de la passion amoureuse…
    Mes doigts tremblaient d’énervement tandis que je m’habillais. Un vertugade, une marlotte de soie saumonée, recouvrirent ma cotte. J’attachai autour de ma taille étranglée par le busc une longue et souple ceinture d’or ciselé dont l’extrémité ornée de perles retombait par-devant jusqu’au bas de ma jupe.
    Quand il fallut ensuite brosser mes cheveux de sauvageonne pour les emprisonner dans une résille de soie, je regrettai de ne point t’avoir appelée pour m’aider comme je le faisais d’habitude. Ma hâte à changer d’apparence avait été excessive.
    Je m’inondai enfin de l’unique parfum qui m’aura suivie toute ma vie : l’héliotrope.
    Quand je pénétrai dans la grande salle où ma mère recevait ses hôtes, je l’y trouvai en conversation avec Pierre.
    — Vous voici fort à propos, ma fille. Monsieur de Ronsard, qui fait un bref séjour dans notre région, est venu très courtoisement nous rendre visite. Il loge chez les Cintré.
    Je pris l’air aimablement surpris qui convenait pour saluer d’un air modeste le nouveau venu dont je soupçonnais les pensées secrètes. Notre connivence en cet instant, à l’occasion d’un même mensonge, ne le ravissait-elle pas ?
    — Vous prendrez bien, monsieur, une légère collation en notre compagnie ?
    — Si je ne craignais point d’être indiscret, madame…
    — Vous ne l’êtes en aucune façon. Nous n’avons pas si souvent l’occasion, au fond de nos provinces, de fréquenter des poètes !
    Je croyais entendre les répliques d’une comédie. Tout résonnait à mes oreilles de manière factice pendant que j’écoutais les propos échangés entre ma mère et celui qui me tenait un moment plus tôt un tout autre langage.
    Nous goûtions aux confitures sèches, aux frangipanes, aux dragées musquées qu’une servante avait apportées en même temps que deux flacons de muscat et d’hydromel. Par les fenêtres ouvertes, les senteurs du printemps pénétraient par bouffées.
    Nous parlions de la capitale, des cénacles à la mode, de l’Écurie du Roi, de Lazare de Baïf, l’illustre théologien, ancien ambassadeur à Venise, qui était parent des Ronsard. Pierre lui vouait une profonde admiration. Il le citait comme un modèle de science et de sagesse. Il disait fréquenter avec bonheur, à Paris, sa maison des Fossés Saint-Victor où se tenaient, sous les plafonds ornés de citations grecques, tant de doctes entretiens entre les plus savants des gens de Cour et les plus courtisans des humanistes.
    Je songeais à part moi que rien de tout cela ne sonnait juste. Que la réalité qui couvait sous cette conversation mondaine était autre, que nos mots ne servaient qu’à travestir nos pensées…
    Au hasard d’une phrase, Pierre cita un de ses amis, Jacques Peletier, son unique lecteur jusqu’alors, qui était secrétaire de l’évêque René du Bellay. Bien que plus âgé que Ronsard, cet homme éloquent, lui aussi plein de science, avait accordé son amitié au jeune poète dont il avait loué et aimé les premières odes.
    — Je l’ai rencontré voici deux ans, expliqua Pierre, lors des obsèques de Guillaume du Bellay, ce grand capitaine, ce glorieux gouverneur du Piémont, qui était un des frères de l’évêque du Mans.
    Ce disant, son visage, si naturellement clair et ouvert, s’assombrit soudain. Quelle évocation, quel cruel souvenir, projetaient leur ombre sur les traits de ce garçon de vingt et un ans, débordant de vie, d’ardeur, de projets ?
    Je ne l’ai appris que plus tard. Et cette découverte décida de mon sort comme du sien…
    — J’espère, madame, que mes poèmes auront l’heur de vous plaire, disait, pendant que je rêvais, notre visiteur, en terminant ainsi une explication que je n’avais pas suivie.
    Ma mère jeta un regard vers une petite table sur laquelle étaient déposés des rouleaux de papiers manuscrits.
    — Ils m’intéresseront sûrement, monsieur. Surtout votre ode Contre la jeunesse française corrompue. Voilà un sujet, hélas, on ne peut plus actuel !
    Ronsard releva le front.
    — En l’écrivant, je ne me suis guère conduit en habile courtisan,

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