Les amours blessées
chaque fois que c’était possible, soit à Blois, soit dans un des prieurés qu’il aimait. Une amitié sans faille nous rapprochait. Elle nous apportait réconfort et tendresse. Nous parlions bien tous deux. Les temps troublés qu’il nous est donné de vivre, nos fins dernières, ses poèmes, remplissaient nos conversations. Il attachait une extrême importance à la publication de ses œuvres complètes. Jusqu’à la veille de sa mort, il a veillé au perfectionnement de ses ouvrages. L’an dernier encore, pour la nouvelle et dernière édition de l’ensemble de ses Œuvres, il n’a pas cessé de travailler au remaniement de ses poèmes.
— Avouez que vous étiez le principal sujet de ses préoccupations et qu’une fort importante partie de son labeur a consisté à effacer vos traces à travers sonnets et élégies.
— Sans doute, mais il avait une autre matière à réflexion. Il voulait se préparer à une bonne mort. Vers la fin de sa vie, sa foi s’est dégagée de tout un fatras de superstitions et de réminiscences mythologiques qui l’avaient encombrée jusque-là. J’ai assisté à cette évolution d’aussi près que notre situation à tous deux le permettait. Par souci de sa renommée, mais aussi, pour être franche, par crainte des commérages, puis par besoin de tranquillité, je me suis tenue à distance. J’ai préféré demeurer en retrait. Pierre a admis et compris mon attitude.
— Quoi qu’il puisse vous advenir désormais, Cassandre, vous puiserez, me semble-t-il, une immense consolation dans la certitude que Ronsard vous aura bien aimée !
Je prends Turquet dans mes bras pour pénétrer dans la salle où flotte une bonne odeur de pain frais, de rôties, de miel et de lait chaud.
Pierre ne humera plus jamais ces simples exhalaisons familières…
Lui qui goûtait les humbles plaisirs d’un bon repas, d’un grand cru, d’un logis propre et net, d’un jardin ordonné, s’en est allé au royaume où ces agréments ont perdu toute importance. Il a poussé les portes mystérieuses d’un autre pays…
Quel souvenir a-t-il pu enclore en son âme insatisfaite pour l’emporter comme viatique durant le voyage qu’il vient d’entreprendre ?
Un vers me remonte du cœur à la mémoire :
« Votre affection m’a servi de bonheur… »
Le Platane.
Le 8 janvier 1987
SUR L’AUTEUR
Née à Paris, Jeanne Bourin a fait ses études au lycée Victor-Duruy, puis a préparé une licence de lettres et une licence d’histoire à la Sorbonne. Mariée à vingt ans à André Bourin, journaliste, critique littéraire, producteur radio et T.V., elle s’est consacrée à l’éducation de ses trois enfants avant de reprendre ses travaux.
Romancière et historienne, son premier livre, Le Bonheur est une femme (Casterman 1963), évoque les amours de deux poètes du XVI e siècle, Pierre de Ronsard et Agrippa d’Aubigné, pour Cassandre et Diane Salviati.
Elle publie ensuite Très sage Heloïse (Hachette 1966, La Table Ronde 1980, Le Livre de poche 1987), où revit celle qui fut aimée d’Abélard et demeure une des plus grandes figures féminines de tous les temps. L’ouvrage, plusieurs fois traduit, a été couronné par l’Académie française.
Suit une biographie « animée », mais composée sur des bases rigoureusement historiques, d’Agnès Sorel, La Dame de Beauté (Presses de la Cité 1970, La Table Ronde 1982, Le Livre de poche 1987).
Jeanne Bourin consacre ensuite sept années à la documentation et à la rédaction de La Chambre des Dames (La Table Ronde 1979, Le Livre de poche 1986), roman préfacé par Régine Pernoud et qui met en scène des marchands et des artisans dans leur vie quotidienne à Paris, au temps du roi Saint Louis. Grand Prix des lectrices de Elle et prix des Maisons de la Presse, ce livre a reçu un accueil enthousiaste de la critique et du public. Traduit en sept langues, il en est à son trente-deuxième tirage.
La suite de La Chambre des Dames, parue sous le titre Le Jeu de la Tentation (La Table Ronde 1981, Le Livre de poche 1986), s’imposa à son tour comme un grand succès de librairie.
Ces deux romans ont fait en 1983 l’objet d’une adaptation télévisée en dix épisodes, diffusée par TF1 (23 décembre 1983-24 février 1984). Réalisateur : Yanick Andréi ; principaux interprètes : Marina Vlady, Henri Virlojeux, Sophie Barjac.
Pour répondre aux demandes d’informations qui lui sont alors adressées, Jeanne
Weitere Kostenlose Bücher