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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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qu’il lui est encore étranger.
    — Pourquoi donc pénétrez-vous chez nous par la forêt, non par l’entrée principale ? demandai-je en prenant soudain conscience de ma tenue, de mes cheveux dénoués qui glissaient sur mes joues, de la terre que je conservais au bout des doigts.
    J’étais contrariée qu’un jeune gentilhomme pût m’apercevoir en pareil négligé et, en même temps, troublée de son audace.
    — Parce que je viens de chez mes cousins Cintré et que, rêvant, je n’ai pas pris garde au chemin que je suivais, répondit Ronsard en se rapprochant de moi.
    Il ne se donnait pas la peine de mentir avec vraisemblance mais, cependant, je ne lui en voulus pas.
    — On vous pardonnera cette entorse aux règles de la bienséance en faveur des œuvres que cette promenade vous inspirera, dis-je en tentant de compenser mon laisser-aller vestimentaire par ce rappel de mon goût pour la poésie.
    — Je l’espère bien ! assura-t-il avec une sorte de saine et joyeuse fatuité qui m’amusa.
    Un rayon de soleil filtrant à travers le feuillage neuf des hêtres blondissait la courte barbe soigneusement entretenue qu’il portait. Tous les hommes qui fréquentaient la Cour en arboraient une semblable depuis que le Roi avait laissé pousser la sienne à la suite d’un accident au visage dont il lui avait fallu dissimuler les cicatrices.
    — Logez-vous donc à présent chez les Cintré ? demandai-je pour rompre un silence qui me parut soudain un peu lourd.
    — Ils ont eu, en effet, l’obligeance de m’offrir l’hospitalité pour quelque temps.
    — Je vous croyais attaché au service du duc d’Orléans, et à ce titre, obligé de suivre un prince qui ne cesse de se déplacer à la suite de la Cour.
    — Je le sers comme écuyer, il est vrai, mais là ne s’arrêtent pas mes activités. J’ai repris à Paris des études de grec et de latin qui sont pour mon avenir de la plus grande importance. Je dois donc me partager entre deux occupations bien différentes l’une de l’autre quoique également enrichissantes. Ce qui me permet de prendre de temps en temps des libertés avec chacune d’entre elles, ajouta-t-il gaiement. Vous avez devant vous une sorte de Janus, mi-écuyer, mi-étudiant, qui, en réalité, pour tout simplifier, ne rêve que de poésie !
    Nous avons ri du même rire, en même temps… D’emblée, nous retrouvions la complicité qui nous avait déjà rapprochés le soir du bal.
    — À qui ai-je affaire maintenant ? repris-je avec le sentiment diffus qu’il était préférable de maintenir dans mes propos un ton de badinage. À l’écuyer, à l’étudiant, ou au poète ?
    — Vous avez affaire à l’homme tout entier, répondit Ronsard en se refusant soudain à jouer le jeu. Il n’est pas une parcelle de mon être qui ne s’intéresse à vous !
    C’était aller trop vite ! Je n’en demandais pas tant !
    La panique qui s’empara alors de moi me demeure présente à l’esprit. Je me voyais seule, au milieu des bois, en compagnie d’un presque inconnu dont le comportement se transformait d’un coup pour devenir si pressant que tout ce qu’il y avait encore d’enfance au fond de mon cœur s’en trouvait obscurément effarouché.
    — Il n’est guère convenable de rester ici, loin de tout le monde, murmurai-je d’une voix moins assurée. Mon père serait mécontent…
    — Je puis gagner la route pour me présenter à votre portail ainsi qu’il est d’usage, admit Ronsard qui, de toute évidence, ne voulait ni m’effrayer ni me brusquer. J’ai attaché mon cheval non loin d’ici, au bord d’un étang de la forêt. Je vais aller le chercher. Je demanderai ensuite à être reçu par madame Salviati. Rien ne vous empêchera de venir, comme par hasard, nous rejoindre un peu plus tard.
    La bonne volonté de Pierre me rassura.
    — À tout de suite, donc ! jetai-je avant de me sauver vers le parc en retroussant bien haut le bas de ma cotte pour aller plus vite.
    Sans m’arrêter, je traversai le verger où Marcelline racontait des histoires à mes jeunes sœurs. Ravie de voir qu’elle ne m’accordait pas un regard, je courus m’enfermer dans ma chambre.
    Si mon cœur battait pendant que je changeais de tenue, ce n’était pas d’essoufflement, mais parce qu’une excitation joyeuse me soulevait. J’avais un soupirant ! Enfin ! Déjà ! Depuis le temps que j’en rêvais en lisant les romans de chevalerie si prisés de nos jours, ce moment

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