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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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Guillaume.
    — J’en suis moi-même chaque fois émerveillée, reconnaît la guérisseuse. C’est un pouvoir qui m’a été confié et qui me dépasse. Je n’en suis que la détentrice provisoire…
    — Il est guéri, guéri, guéri ! répète comme une antienne Cassandrette penchée sur le nourrisson qui l’observe gravement.
    Trop longtemps angoissée pour se réjouir du premier coup, encore sous l’emprise d’une anxiété qui ne l’a pas quittée depuis l’accident, il lui faut un certain temps pour parvenir à se convaincre d’une réalité qu’elle n’ose pas admettre.
    Peu à peu, comme un lever de soleil, je vois la joie monter en elle, s’installer d’abord avec réserve, puis éclater, rayonner.
    Ma fille pleure enfin de bonheur en embrassant comme une folle les épaules, le torse, le ventre intacts de son enfant.
    — Il est sauvé, bien sauvé, redit Guillaume, lui aussi partagé entre l’incrédulité et le ravissement.
    Mains jointes, tête inclinée sur la poitrine, yeux clos, Marie est absorbée dans une action de grâce.
    — Vous pouvez l’habiller comme d’habitude et appeler sa nourrice pour qu’elle l’allaite, reprend la guérisseuse que je vois sourire pour la première fois. Il doit être affamé après une telle aventure !
    Cassandrette se redresse, se jette dans les bras de son époux. Ils s’embrassent tous deux comme on communie, puis ma fille se retourne vers moi. Elle m’attire, me serre contre son cœur, appuie son front au creux de mon épaule et demeure un moment ainsi, abandonnée, en signe de tendresse, afin de m’associer le plus étroitement possible à sa félicité.
    Pendant qu’elle s’occupe ensuite de l’enfant que notre agitation semble amuser, Guillaume va quérir la nourrice.
    Je m’approche à nouveau de la table sur laquelle est posé mon petit-fils et me penche vers lui.
    Qui sera cet enfant ? Devant un nouveau-né, je me suis toujours sentie prise de vertige. Tout est possible en une créature si neuve. Il peut être saint François d’Assise ou Gilles de Rays. Il peut être Ronsard…
    Là-bas, à Saint-Cosme, étendu et rigide, Pierre doit recevoir les derniers honneurs funéraires. On va ensevelir à jamais sous un drap ce visage que j’ai connu tour à tour animé, gai, ardent, ému, malheureux, amer, pacifié et qui, à présent n’exprime plus rien. Personne ne reverra ses traits. Jamais. On le déposera ensuite dans son cercueil et l’on clouera les planches…
    Si j’avais consenti à vivre avec lui après mon veuvage ainsi qu’il m’en avait priée :
     
    Vous êtes déjà vieille et je le suis aussi.
    Joignons notre vieillesse et l’accolons ensemble,
    Et faisons d’un hiver qui de froidure tremble,
    Autant que nous pourrons un printemps adouci.
     
    si j’avais accepté cette dernière proposition (mais il était trop tard, je ne pouvais aller le rejoindre dans ses prieurés !), j’entendrais réellement les coups de marteau retentir sur le bois qui l’enferme. En dépit de mon éloignement, chacun des coups frappés pourtant à des lieues de moi, heurte mon cœur, résonne dans ma tête…
    — Qu’avez-vous, ma mère ? Vous voici toute pâle !
    Je me redresse avec lenteur.
    — Ce n’est rien. Un peu de fatigue.
    La nourrice arrive alors. Elle a encore le visage meurtri par les larmes versées et un air fautif qui me fait peine.
    — Allons, allons, dis-je. Ce n’est plus le moment de gémir. François est guéri.
    — Faisons comme si rien ne s’était passé, Mathurine, propose Cassandrette. Je ne veux pas voir de tristesse sous mon toit aujourd’hui !
    J’approuve de la tête et me détourne pour caresser mon petit chien que notre agitation déconcerte et qui s’est réfugié contre mes jambes. Marie me prend alors par le bras.
    — Venez, Cassandre, dit-elle avec fermeté. Venez. Vous avez besoin de vous restaurer. Moi aussi. Faisons comme notre petit-fils : mangeons !
    Elle m’entraîne hors de la chambre. Turquet emboîte le pas.
    — Je me suis endormie alors que vous vous apprêtiez à me conter vos dernières entrevues avec Ronsard, continue-t-elle comme nous nous rendons vers la salle. Il faudra que vous acheviez une autre fois votre récit.
    — Il tient en peu de mots. Du vivant de mon mari, Pierre et moi nous sommes assez rarement vus. Après sa disparition, bien davantage. Durant les trois années qui viennent de s’écouler, nous nous écrivions, nous nous retrouvions

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