Les amours blessées
tourments. Pour échapper à l’air maléfique que nous respirions, il tenta, une dernière fois, d’échapper par la galanterie à tout ce qui l’oppressait.
Il avait rencontré quelques années auparavant, lors d’une réception à la Cour, une jeune fille appartenant à une très ancienne et noble famille de Saintonge. Elle était alors fiancée à un autre et n’avait pas retenu outre mesure l’attention de Pierre. Il la revit à Amboise plusieurs années après. Tué au siège de Mussidan, le fiancé laissait Hélène de Surgères libre d’elle-même et de son cœur.
Devenue fille de chambre de la Reine, elle faisait partie du fameux escadron volant qui n’était composé que de femmes dont l’esprit ou la beauté s’imposait à l’attention. Ronsard raconta par la suite qu’il fut intéressé lors de cette deuxième entrevue par la manière dont cette jeune personne parlait de poésie. Cultivée, brillante, elle commença à attirer sa curiosité.
Catherine de Médicis, qui aimait et admirait en Pierre l’illustre poète qu’avait tant recherché son fils défunt, intervint en personne pour l’inciter à chanter un nouvel amour sur un mode également rajeuni. Après trois mois de tergiversations, d’hésitations et de doutes, Ronsard accepta. Il sentait la nécessité impérieuse de renouveler son style, son inspiration, de changer de muse, de proposer à ses lecteurs des œuvres qui leur fourniraient l’impression de ne pas relire sans cesse les mêmes poèmes dédiés aux mêmes élues. Il savait être parvenu à ce moment dangereux et délicat d’une carrière où un homme célèbre doit veiller à donner de son propre personnage l’image inhabituelle dont ses admirateurs souhaitent sans trop le dire l’apparition. On commençait à lui reprocher son manque d’invention créatrice.
Devant moi, certains beaux esprits s’étaient, plusieurs fois, avoués lassés des redites, des reprises, des ressassements qu’ils avaient relevés dans les derniers livres de Pierre. Bien entendu, je l’avais défendu de mon mieux, mais je n’étais pas sans comprendre le bien-fondé de ces critiques, ni redouter pour mon ami les effets de l’âge ainsi que ceux de l’accoutumance à une gloire si bien établie désormais qu’elle ne pouvait que le conduire à l’engourdissement.
On parlait beaucoup – trop à mon avis – d’un jeune poète, Philippe Desportes, qui avait une vingtaine d’années de moins que Ronsard et dont la Cour s’était engouée depuis quelque temps. Il m’apparaissait comme un dangereux rival pour Pierre qui ne pouvait se permettre de le laisser s’affirmer à ses dépens.
Grâce à de fraîches amours, à une muse récemment découverte, à des chants inaccoutumés, ses écrits, reverdis, l’imposeraient derechef à tous comme le premier, comme l’unique !
Ces différentes raisons conduisirent Ronsard à se lancer en une aventure tardive qui devait, en fin de compte, lui laisser un goût amer.
Au début, cependant, il parvint à se persuader que tout était encore possible. Avec cette fougue et cette crédulité que son penchant pour les femmes préservait, quoi qu’il advînt, des expériences passées, il joua le jeu. Aucun de ses déboires précédents ne semblait jamais parvenir à entamer sa foi en l’avenir éblouissant des successives aventures amoureuses qui avaient jalonné sa vie.
Toujours sur l’instigation de la reine mère, il consentit même à se lier par un simulacre de mariage mystique à Hélène de Surgères. C’est ainsi que j’appris par la rumeur publique que Pierre avait juré à cette jeune femme un amour éternel, que des rites d’envoûtement avaient suivi ce serment et que l’étrange cérémonie s’était terminée par une promenade en coche dans le jardin royal, sous l’œil bienveillant de la souveraine.
Pour se livrer ainsi ouvertement à des rites magiques, fallait-il que celle-ci fût désireuse de distraire la Cour encore bouleversée par les déchaînements sanglants de la Saint-Barthélemy ! Fallait-il, aussi, que Pierre eût senti le besoin d’attirer l’attention de son public pour se laisser entraîner à une manifestation dont l’exhibitionnisme devait pourtant lui paraître humiliant…
Hélène est mon Parnasse : ayant telle Maîtresse,
Le Laurier est à moi, je ne saurais faillir…
proclama-t-il alors dans un sonnet, comme pour se justifier à ses propres yeux d’une mascarade dont seul
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