Les amours du Chico
sorte, sa fureur, sans cesse grandissante,
bouleversait ses traits habituellement si fins, si railleurs, au
point de le rendre méconnaissable.
Livide, hérissé, exorbité, effrayant, avec ce rire extravagant
qu’il ne paraissait plus pouvoir réfréner, avec des gestes
brusques, saccadés, inconscients, un inappréciable instant il eut
toutes les apparences d’un fou furieux.
Cette impression ne fut pas éprouvée que par les comparses de
cette scène, car il entendit vaguement Fausta dire d’une voix que
l’espoir et la joie faisaient trembler :
– Oh ! serait-il devenu fou ? Déjà !…
Et une autre voix impassible – celle de d’Espinosa –
répondit :
– Notre besogne serait terminée, avant que d’avoir été
entreprise.
– Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi. Je n’eusse
jamais cru qu’un esprit qui paraissait si ferme, sombrerait avec
tant de facilité.
– C’est qu’il s’est vu irrémissiblement perdu. Cet homme
est un orgueilleux. Sa défaite a été un coup insupportable pour
lui. Je commence à croire, princesse, que vous aviez raison quand
vous disiez que nous ne pourrions l’abattre qu’en le faisant
sombrer dans la folie.
– Et c’est lui qui m’a indiqué le seul point sur lequel il
ne se sentait pas invulnérable.
– Comme Samson le fit à Dalila. N’importe, je confesse que
j’eusse été curieux de voir si les différentes épreuves par
lesquelles nous avions résolu de le faire passer eussent obtenu ce
résultat que nous n’osions espérer et que, sans le vouloir, nous
avons atteint si aisément.
– Silence ! cardinal, gronda Fausta, qui étudiait
passionnément les traits convulsés du chevalier. N’allez pas lui
donner l’éveil par des paroles inconsidérées.
– Eh ! madame, regardez-le donc ! il ne nous
entend même pas. C’en est fait de ce terrible fier-à-bras.
– Avec Pardaillan, on ne sait jamais. Il nous entend
peut-être, si bas que nous parlions.
– En ce cas, fit dédaigneusement d’Espinosa, dans l’état où
le voilà, il est incapable de nous comprendre.
Dans sa crise nerveuse poussée jusqu’à la frénésie, Pardaillan
ne les voyait pas. Ils étaient assez loin de lui et ils parlaient
bas, d’après le propre aveu de Fausta, et pourtant il perçut
nettement toutes ces paroles. En lui-même, en faisant des efforts
désespérés pour retrouver un peu de calme, il grommelait :
– Or ça, j’ai donc l’air d’un fou ? Peut-être le
suis-je en effet. Je sens ma tête qui semble vouloir éclater. Il me
paraît que ma folie, si elle persistait, serait singulièrement
agréable à la douce Fausta et à son digne ami d’Espinosa. Que
signifient ces paroles qu’ils viennent de prononcer ? Me
donner l’éveil !… En quoi ? Et moi qui les oubliais ces
deux-là !
Il se secoua furieusement et grogna :
– Morbleu ! je ne veux pas devenir fou, moi !
Peste ! ils seraient trop contents ! Ah ! c’est moi
qui lui ai dit que…
Et par un effort de volonté surhumain, il réussi à se maîtriser,
à retrouver, en partie, sa lucidité.
En même temps, il se mit en marche, allant droit à
Bussi-Leclerc, impérieusement poussé par cette idée qui dominait en
lui : châtier séance tenante le scélérat.
Et, chose singulière, dès. L’instant où il s’ébranla pour une
action déterminée, tout le reste disparut et son calme lui revint
peu à peu. En même temps, par un phénomène bizarre que nous ne nous
chargeons pas d’expliquer, les paroles qu’il venait d’entendre et
qui l’avaient amené à réagir, ces paroles il lui sembla les avoir
perçues dans un songe, elles s’estompèrent, s’effacèrent, ne
laissèrent aucune trace dans sa mémoire.
En le voyant se diriger vers Bussi avec cette résolution froide
qu’il avait dans l’action, Fausta murmura en le désignant du coin
de l’œil à d’Espinosa :
– Que vous disais-je ? Avec lui on ne sait jamais. Il
a surmonté la crise. Fasse le ciel qu’il n’ait pas entendu vos
imprudentes paroles !
D’Espinosa ne répondit rien. Avec une attention soutenue il
étudiait Pardaillan qui, tout son sang-froid revenu, venait de
passer sans les regarder. Et le résultat de cet examen fut qu’il
hocha la tête en disant :
– Non ! Il n’a pas entendu.
– Je le crois aussi. Et c’est fort heureux. Sans quoi, c’en
serait fait de nos projets, dit Fausta.
D’Espinosa observait toujours Pardaillan et, le voyant
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