Les amours du Chico
murmurant :
– Allons !
Et il lui sembla, peut-être se trompait-il, qu’en le voyant
tomber en garde, Bussi-Leclerc avait poussé un soupir de
soulagement et qu’une lueur triomphante avait éclairé furtivement
son regard.
– Mort du diable ! songea-t-il, je donnerais
volontiers cent pistoles pour savoir au juste ce que peut bien
manigancer ce scélérat !
Et, sous cette impression, au lieu d’attaquer avec sa fougue
accoutumée, il tâta prudemment le fer de son adversaire.
L’engagement ne fut pas long.
Tout de suite, Pardaillan laissa de côté sa prudente réserve et
se mit à charger furieusement.
Bussi-Leclerc se contenta de parer deux ou trois coups et
soudain, d’une voix éclatante :
– Attention ! hurla-t-il triomphalement, Pardaillan,
je vais te désarmer !
À peine avait-il achevé de parler qu’il porta successivement
plusieurs coups secs, sur la lame, comme s’il eût voulu la briser
et non la lier. Pardaillan d’ailleurs le laissait faire
complaisamment, espérant qu’il finirait par se trahir et découvrir
son jeu.
Dès qu’il eut porté ces coups bizarres qui n’avaient rien de
commun avec l’escrime, Bussi-Leclerc glissa prestement son épée
sous la lame de Pardaillan comme pour la soutenir, et d’un geste
sec et violent il redressa son épée de toute sa force.
Alors Fausta, stupéfaite, les officiers et les soldats,
émerveillés, virent ceci :
La lame de Pardaillan, arrachée, frappée par une force
irrésistible, suivit l’impulsion que lui donnait l’épée de Bussi,
s’éleva dans les airs, décrivit une large parabole et alla tomber
dans la piste.
– Désarmé ! rugit Bussi-Leclerc. Nous sommes
quittes.
Au même instant, fidèle à la promesse faite à Fausta de le
laisser vivant pour le bourreau, il se fendit à fond, visant la
main de Pardaillan, voulant avoir la gloire de le toucher, porta
son coup et, comme s’il eût craint que, même désarmé, il ne revint
sur lui, il fit un bond en arrière et se mit hors de sa portée.
Il rayonnait, il exultait, le brave spadassin. Il triomphait sur
toute la ligne. Là, devant ces centaines de gentilshommes et de
soldats, spectateurs attentifs de cet étrange duel, il avait eu la
gloire de désarmer et de toucher l’invincible Pardaillan.
Nous avons dit à dessein que la lame de Pardaillan était allée
tomber sur la piste.
En effet, on se tromperait étrangement si on croyait sur parole
Bussi-Leclerc criant qu’il a désarmé son adversaire.
La lame avait sauté, la lame, préalablement limée, habilement
maquillée, mais la poignée était restée dans la main du
chevalier.
En résumé, Bussi-Leclerc n’avait nullement désarmé son
adversaire et la piteuse comédie qu’il venait de jouer là (comédie
suggérée et mise à exécution, dans sa tâche la plus délicate,
savoir la substitution de l’arme truquée à la rapière du chevalier)
cette comédie était de l’invention de Centurion, qui avait vu là le
moyen d’obtenir de Bussi ce que Fausta l’avait chargé de lui
demander et de se venger en même temps, par une humiliation
publique, de celui qui l’avait corrigé vertement en public.
Bussi-Leclerc pouvait triompher à son aise, car, de loin, on ne
pouvait voir la poignée restée dans la main crispée de Pardaillan,
et comme tout le monde, en revanche, avait pu voir voler la lame,
pour la plupart des spectateurs le doute n’était pas
possible : l’invincible, le terrible Français avait trouvé son
maître.
Pour compléter la victoire de Bussi-Leclerc, il se trouva que
son épée, alors qu’il s’était fendu sur son adversaire désarmé par
un coup de traîtrise, son épée avait éraflé un doigt assez
sérieusement pour que quelques gouttes de sang jaillissent et
vinssent tacher de pourpre la main de Pardaillan.
Ce n’était qu’une piqûre insignifiante. Mais de loin, ce sang
permettait, de croire à une blessure plus sérieuse.
Malheureusement pour Bussi, les choses prenaient un tout autre
aspect vis-à-vis de ceux qui, placés aux premiers rangs, purent
voir de près, dans tous ses détails, la scène qui venait de se
dérouler et celle qui suivit.
Ceux-là distinguèrent le tronçon d’épée resté dans la main du
chevalier. Ils comprirent que s’il était désarmé, ce n’était pas du
fait de l’adresse de Bussi, mais par suite d’un fâcheux accident.
Et même, à la réflexion, cet accident lui-même leur parut quelque
peu suspect.
Quant à
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