Les amours du Chico
Pardaillan, il avait eu une seconde d’effarement bien
compréhensible en voyant sa lame s’envoler dans l’espace. Lui
aussi, il avait cru naïvement à un accident.
Et pourtant, dès l’instant où il avait été provoqué de
l’outrageante manière que l’on sait, sa défiance avait été mise en
éveil. Mais, dans son idée, il ne pouvait être question que de
quelque passe d’arme inconnue, de quelque botte secrète, déloyale,
indigne d’un gentilhomme.
Jamais l’idée ne lui serait venue que la frénésie haineuse pût
oblitérer le sens de l’honneur et même le simple bon sens d’un
homme réputé brave et intelligent, jusqu’à ce jour, au point de
l’assassiner jusqu’à ourdir une machination aussi lâche, aussi
compliquée et aussi niaise car en résumé, qui espérait-il abuser
avec cette grossière comédie ?
Mais, devant le cri de triomphe de Bussi, force lui avait été
d’admettre qu’une perfidie semblable était possible. Et cela lui
avait paru si pitoyable, si grotesque, si risible, que malgré lui,
oubliant tout, il était parti d’un éclat de rire formidable,
furieux, inextinguible.
Et c’était si imprévu, en un pareil moment, on sentait si
manifestement gronder la fureur dans cet éclat de rire qui n’avait
plus rien d’humain, que les spectateurs de cette scène, soudain
glacés, se considérèrent avec effarement, plus impressionnés certes
que par le spectacle, cependant tragique, de la bataille qui se
déroulait autour d’eux.
Et Bussi-Leclerc, si brave qu’il fût, sentit un frisson le
parcourir de la nuque aux talons, et, tout en se rencoignant dans
les rangs pressés des soldats espagnols, comme s’il ne se fût pas
senti en sûreté, il commença de regretter amèrement d’avoir suivi
si scrupuleusement les perfides conseils de Centurion et il eut
honte du rôle odieux qu’on l’avait amené à jouer dans cette
affaire.
C’est que au fur et à mesure que le rire se déchaînait
irrésistiblement, le chevalier sentait une colère violente,
furieuse, comme il en avait rarement ressenti de pareille,
l’envahir tout entier, au point que lui qui savait si bien garder
son sang-froid dans les passes les plus critiques, il était tout à
fait hors de lui, et se sentait incapable de se modérer, encore
moins de raisonner ses impressions.
Il ne voyait qu’une chose, et c’est ce qui déchaînait en lui ce
terrible accès de fureur : c’est que Bussi, par des moyens
déloyaux, l’avait, pour ainsi dire, livré au bourreau, pieds et
poings liés. Car, et c’est ce qui l’enrageait le plus, par suite de
l’intervention du spadassin, il se voyait irrémédiablement perdu.
Et dans son esprit il clamait :
– Eh quoi ! se peut-il que, pour une misérable
blessure faite à son amour-propre, un homme s’avilisse à ce
point ! Par Pilate ! je ne connaissais pas ce
Bussi-Leclerc ! C’est un dangereux scélérat. Qu’il ait
organisé cette ridicule comédie, pour la satisfaction de sa vanité,
passe encore… Encore que je croie que nul n’en sera dupe ; ce
qui est odieux, intolérable, impardonnable, incroyable, ce qui
passe toute mesure, c’est qu’il m’ait froidement immobilisé ici
sachant que j’allais être pris comme un goujon dans un filet ;
c’est qu’il m’ait lâchement provoqué, traîtreusement désarmé, au
moment précis où il savait ma vie en péril. Que n’a-t-il essayé de
me tuer loyalement, puisque décidément il me veut la
malemort ! Mais non, il a fallu qu’il s’abaissât à pareille
besogne, sachant le sort qui m’est réservé, et qu’il se fît,
sciemment, volontairement, méchamment, pourvoyeur de bourreau.
Car je l’ai entendu dire à Fausta qu’il ne voulait pas, en me
tuant, me soustraire au supplice qui m’est réservé. Et quel
supplice ? Heu ! sur ce point je puis m’en rapporter à la
fertile imagination de la damnée papesse. Mort du diable ! il
faut que ce scélérat soit châtié sur l’heure, et je vais
l’étrangler de mes propres mains, puisque je n’ai pas d’arme. Ou
plutôt non ; puisque les blessures d’amour-propre sont les
seules qui aient réellement prise sur ce sacripant, je vais lui
infliger une de ces humiliations sanglantes dont il gardera à
jamais le cuisant souvenir, si tant est qu’il soit assez pleutre
pour consentir à vivre après la correction que je vais lui
administrer, et qui me paraît la seule digne de son abominable
félonie.
Et en songeant de la
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