Les amours du Chico
Et tu y es
venu, parce que tu as l’âme d’un faquin. Cette épée, avec laquelle
tu menaçais de me souffleter, tu es indigne de la porter.
– Et d’un geste violent, il brisait sur son genou la lame
en deux et en jetait les tronçons aux pieds de Bussi-Leclerc,
livide, écumant.
Et ceci encore apparaissait comme une bravade si folle que
d’Espinosa murmura :
– Orgueil ! orgueil ! Cet homme est tout
orgueil !
– Non, fit doucement Fausta, qui avait entendu. C’est un
fou qui ne raisonne pas ses impulsions.
Ils se trompaient tous les deux.
Pardaillan reprenait de sa voix toujours éclatante :
– Jean Leclerc, j’ai tenu ton soufflet pour reçu. Je
pourrais t’étrangler, tu ne pèses pas lourd dans mes mains. Je te
fais grâce de la vie, Leclerc. Mais pour qu’il ne soit pas dit
qu’une fois dans ma vie je n’ai pas rendu coup pour coup, ce
soufflet, que tu as eu l’intention de me donner, je te le
rends !…
En disant ces mots, il happait Bussi à la ceinture, le tirait à
lui malgré sa résistance désespérée, et sa main gantée, largement
ouverte, s’abattit à toute volée sur la joue du misérable qui alla
rouler à quelques pas, étourdi par la violence du coup, à moitié
évanoui de honte et de rage plus encore que par la douleur.
Cette exécution sommaire achevée, Pardaillan s’ébroua comme
quelqu’un qui vient d’achever sa tâche, et du bout des doigts, avec
des airs profondément dégoûtés, il enleva ses gants et les jeta,
comme il eût jeté une ordure répugnante.
Ceci fait avec ce flegme imperturbable qui ne l’avait pas quitté
durant toute cette scène, il se tourna vers Fausta et d’Espinosa
et, son sourire le plus ingénu aux lèvres, il se dirigea droit sur
eux.
Mais sans doute ses yeux parlaient un langage très explicite,
car d’Espinosa, qui ne se souciait pas de subir une avanie
semblable à celle de Bussi qu’on emportait hurlant de désespoir, se
hâta de faire le signal attendu par les officiers qui commandaient
les troupes.
À ce signal, longtemps attendu, les soldats s’ébranlèrent en
même temps, dans toutes les directions, resserrant autour du
chevalier le cordon de fer et d’acier qui l’emprisonnait.
Il lui fut impossible d’approcher du groupe au milieu duquel se
tenaient Fausta et le grand inquisiteur. Il renonça à les
poursuivre pour faire face à ce nouveau danger. Il comprenait que
si la manœuvre des troupes se prolongeait, il lui serait bientôt
impossible de faire un mouvement, et si la poussée formidable
persistait aussi méthodique et obstinée, il risquait fort d’être
pressé, étouffé, sans avoir pu esquisser un geste de défense. Il
grommela, s’en prenant à lui-même de ce qui lui arrivait, comme il
avait l’habitude de faire :
« Si seulement j’avais la dague que j’ai stupidement jetée
après avoir estoqué ce taureau ! Mais non, il a fallu que je
fisse encore le dégoûté pour un peu de sang. Décidément, monsieur
mon père avait bien raison de me répéter sans cesse que cette
sensibilité excessive qui est la mienne me jouerait, tôt ou tard,
un mauvais tour. Si j’avais écouté ses sages avis, je ne serais pas
dans la situation où me voilà. »
Il eût aussi bien pu regretter l’épée de Bussi qu’il venait de
briser à l’instant même. Mais il n’avait garde de le faire, et en
cela il était logique avec lui-même. En effet, cette épée, il ne
l’avait conquise que pour se donner la satisfaction d’en jeter les
tronçons à la face du maître d’arme. C’était une satisfaction qui
lui coûtait cher, mais tout se paye. L’essentiel était qu’il eût
accompli jusqu’au bout ce qu’il avait résolu d’accomplir.
Cependant, malgré ses regrets et les invectives qu’il se
dispensait généreusement, il observait les mouvements de ses
assaillants avec cette froide lucidité qui engendrait chez lui les
promptes résolutions, instantanément mises à exécution.
Se voyant serré de trop près, il résolut de se donner un peu
d’air. Pour ce faire, il projeta ses poings en avant avec une
régularité d’automate, une précision pour ainsi dire mécanique, une
force décuplée par le désespoir de se voir irrémédiablement perdu,
pivotant lentement sur lui-même, de façon à frapper alternativement
chacune des unités les plus rapprochées du cercle qui se resserrait
de plus en plus.
Et chacun de ses coups était suivi du bruit mat de la chair
violemment heurtée,
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