Les amours du Chico
eût été accueillie par lui comme une délivrance. Depuis que
mortes étaient ses seules affections, mortes aussi ses haines,
Pardaillan ne pouvait plus guère tenir à la vie.
Alors ?
Alors il y avait ceci : Avec ses idées spéciales,
Pardaillan se disait qu’ayant accepté du roi Henri une mission de
confiance, il n’avait pas le droit de mourir, lui Pardaillan, avant
que cette mission fût accomplie.
La mort, dit-on, délie de tout. Il faut croire qu’il ne pensait
pas ainsi, puisqu’il se fût cru sincèrement déshonoré en
n’accomplissant pas ce qu’il avait promis d’accomplir, même si
c’était la mort qui l’arrêtait.
Orgueil, dira-t-on ? C’est possible. Nous ferons remarquer
que nous ne faisons pas de psychologie. Nous présentons notre héros
tel qu’il était, sans chercher à le grandir où à le diminuer,
laissant ce soin à ses gestes seuls.
Ayant décidé qu’il n’avait pas le droit de mourir avant d’avoir
mené à bien sa mission, entre le poison qui devait le foudroyer et
la mort lente, Pardaillan choisissait la mort lente et se dérobait
devant le poison, parce qu’il se disait très justement que, tombant
raide mort sur le parquet, tout serait fini. Tandis que, fût-il
entre les mains du bourreau, râlant et à l’agonie, tant qu’il lui
restait un souffle de vie, l’événement imprévu pouvait se produire
qui le rendrait à la vie et à la liberté, et lui permettrait
d’accomplir sa tâche.
On voit qu’il était rigoureusement logique. Seulement,
dame ! pour mettre en pratique une logique de ce genre, il
fallait être doué d’une énergie peu commune, d’une dose de volonté,
d’un courage et d’un sang-froid qu’il était peut-être seul capable
d’avoir.
Tout ceci avait été longuement et mûrement pesé, calculé et
finalement résolu, dans la solitude de sa cellule. On a pu voir par
les tentatives désespérées de ses gardiens, Bautista et Zacarias,
qu’il suivait avec une inébranlable rigueur la ligne conduite qu’il
s’était tracée.
Une chose qu’il avait aussi décidée, et que nous devons faire
connaître, c’est qu’il courait le risque de l’empoisonnement en
prenant la nourriture qu’on lui présenterait, le quatrième jour à
partir de la réception du billet du Chico.
Pourquoi ce quatrième jour ? Comptait-il donc sur le
nain ? Pas plus sur le nain que sur autre chose, autant sur
lui que sur n’importe qui. C’était précisément ce qui faisait sa
force, de ne compter en tout et pour tout que sur lui-même, et, en
même temps, d’utiliser adroitement et surtout fort à propos tous
les atouts qui se présentaient dans son jeu lorsqu’il engageait une
partie semblable à celle qu’il jouait en ce moment.
Or, le Chico, à ses yeux, était une carte dans ses mains. Pour
le moment, cette carte n’était pas à dédaigner plus qu’une autre.
Elle pouvait être bonne, elle pouvait être mauvaise, il ne savait
pas encore. Cela dépendrait du jeu qu’abattrait son adversaire.
Il s’était fixé ce terme de quatre jours simplement parce qu’il
se disait que les forces humaines ont une limite et que, s’il
voulait être en état de profiter des événements favorables qui
pouvaient toujours se produire, il lui fallait, de toute nécessité,
réparer ses forces affaiblies par un long jeûne.
Évidemment, la menace du poison restait toujours suspendue sur
sa tête. Mais quoi ? Il fallait cependant bien en finir d’une
manière ou d’une autre. C’était un risque à courir, il le savait
bien : il le courrait, voilà tout. S’il succombait, il aurait
du moins la satisfaction de se dire qu’il avait lutté autant qu’il
lui avait été possible de le faire.
Au surplus, rien ne prouvait que, devant son obstination,
d’Espinosa ne renoncerait pas au poison pour chercher autre chose.
En y réfléchissant bien, c’était probablement ce qui arriverait.
Donc ce point était bien réglé dans son esprit, comme les autres,
et sa résolution irrévocablement prise.
Qu’on veuille bien nous pardonner cette digression, qui nous
paraissait nécessaire, et ceci dit, revenons à notre histoire,
comme dit l’autre.
Lorsqu’ils eurent enfin amené leur prisonnier à s’asseoir devant
son couvert, Bautista et Zacarias se dirent que le plus fort était
fait et que cet homme extraordinaire, qui avait le courage de
rester indifférent devant les choses les plus appétissantes, ne
saurait, cette fois, résister aux
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