Les amours du Chico
salle elle-même était carrée, haute de plafond, vaste de
dimensions. Le plafond, le plancher, les boiseries qui la
recouvraient entièrement, des essences les plus rares, étaient de
véritables merveilles de mosaïque et de sculpture. Quatre
tapisseries flamandes ornaient deux côtés de la salle et
représentaient les quatre saisons. Mais si le décor de chacune de
ces tapisseries variait, suivant la saison qu’il représentait, dans
une intention qui sautait aux yeux, le fond du sujet était le même
partout.
C’était une profusion de fruits, de victuailles variées, de
flacons, que des personnages, hommes et femmes, engloutissaient
gloutonnement.
Dans l’Été, les personnages, de grandeur presque nature, étaient
entièrement nus. Dans le printemps, ils étaient un peu plus
couverts. En revanche, les poses et les gestes étaient tels qu’il
nous faudrait recourir au latin pour les décrire. On ne
s’effarouchait pas pour si peu à cette époque.
Notez que, tout, en accomplissant ces gestes que nous ne
saurions décrire, les personnages en question n’arrêtaient pas de
s’empiffrer avec des grimaces de jubilation. Évidemment, l’artiste
qui avait conçu ce panneau s’était inspiré de ces paroles de
l’Évangile : « Que votre main droite ignore ce que fait
la gauche. » De-ci, de-là, quelques tableaux.
Et toujours le même sujet, varié seulement dans les détails des
gens mangeant et buvant avec des mines béates. La seule vue de ces
panneaux et tableaux était faite pour réveiller l’appétit le plus
profondément assoupi.
Une cheminée monumentale occupait à elle seule les deux tiers
d’un côté. L’intérieur de cette cheminée était garni d’arbustes, de
plantes rares, de fleurs aux parfums très doux, rangés en corbeille
autour d’une vasque de marbre dont le jet d’eau retombait en pluie
fine, avec un murmure caresseur, et rafraîchissant l’air, saturé de
parfums. Deux fenêtres aux rideaux de velours hermétiquement
clos ; dix fauteuils de dimensions colossales s’espaçaient le
long des boiseries ; deux bahuts se faisaient vis-à-vis. Bien
qu’il fît grand jour au dehors, aux quatre angles, quatre torchères
énormes, chargées de cire rose et parfumée, qui se consumaient
lentement et dont les volutes de fumée bleuâtre répandaient dans la
salle ce parfum spécial qu’on y respirait.
Voilà ce que vit Pardaillan d’un coup d’œil.
Tout, dans cette salle, semblait avoir été aménagé en vue de la
glorification de la gourmandise. Tout semblait avoir été conçu en
vue de l’inciter à faire comme les personnages des tableaux et
tapisseries, c’est-à-dire à bâfrer sans retenue.
Au centre de la salle, une table était dressée, autour de
laquelle vingt personnes eussent pu s’asseoir à l’aise. Une nappe
d’une blancheur éblouissante et d’une finesse arachnéenne ;
des chemins de table en dentelles précieuses, des surtouts d’argent
massif, des cristaux enchâssés de métal précieux, une vaisselle
d’or et d’argent, des flambeaux aux cires allumées et des jonchées
de fleurs. Tel était le décor prestigieux destiné à encadrer
dignement les innombrables plats, les fruits savoureux, les
entremets, les pâtisseries, les compotes et les gelées et
l’escadron des flacons de toutes formes et de toutes dimensions,
rangés en bon ordre devant la ligne des bouteilles ventrues,
vénérablement poussiéreuses.
Au milieu de cette table, surchargée de provisions qui eussent
suffi à rassasier vingt personnes douées du plus solide appétit, un
couvert, un seul, était mis. Et devant cet unique couvert, un vaste
fauteuil semblait tendre ses bras rigides à l’heureux gourmet à
l’intention duquel on avait fait cette débauche de richesses
gastronomiques.
Voilà ce que désignaient de la main les frères Zacarias et
Bautista, avec des airs de vénération profonde comme ils n’en
avaient peut-être pas devant le saint sacrement. Et leurs yeux
clignotants, leur énorme bouche qui s’arrondissait en cul de poule,
leurs larges narines qui reniflaient non les parfums répandus dans
la salle, mais le fumet des plats, leur air de fausse modestie,
tout dans leur attitude semblait dire que tout cela était leur
œuvre à eux, tout implorait un compliment que Pardaillan ne leur
refusa pas.
– Admirable ! dit-il simplement d’un air très
convaincu.
– N’est-ce pas ? rayonna frère Bautista. Et que
direz-vous, mon frère, quand
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