Les amours du Chico
mieux les tenir et qu’il leur réserve quelque joli coup de sa
façon, dans lequel ils me paraissent donner tête baissée. Ou bien
il ne sait rien et alors ce sont ses troupes qui me paraissent bien
exposées. Dans ce cas, si habilement exécutée que soit la manœuvre,
je ne comprends pas qu’il ne se trouve pas là un seul officier
capable de donner l’éveil à ses chefs. Quoiqu’il en soit, du diable
si je m’attendais à un combat aussi sérieux, et que la peste
m’étrangle si je sais pourquoi je viens risquer mes os dans cette
galère ! »
Ayant ainsi envisagé les choses, tout autre que Pardaillan s’en
fût retourné tranquillement, puisque, en résumé, il n’avait rien à
voir dans la dispute qui se préparait entre le roi et ses sujets.
Mais Pardaillan avait sa logique à lui, qui n’avait rien de commun
avec celle de tout le monde. Après avoir bien pesté, il prit son
air le plus renfrogné, et par une de ces bravades dont lui seul
avait le secret, il pénétra dans l’enceinte par la porte d’honneur,
en faisant sonner bien haut son titre d’ambassadeur, invité
personnellement par Sa Majesté. Et il se dirigea vers la place qui
lui était assignée.
À ce moment le roi parut, sur son balcon, aménagé en tribune. Un
magnifique vélum de velours rouge, frangé d’or, maintenu à ses
extrémités par des lances de combat, interceptait les rayons du
soleil. En outre des palmiers, dans d’énormes caisses, étendaient
sous le vélum le parasol naturel de leurs larges feuilles.
Le roi s’assit avec cet air morne et glacial qui était le sien.
M. d’Espinosa, grand inquisiteur et premier ministre, se tint
debout derrière le fauteuil du roi. Les autres gentilshommes de
service prirent place sur l’estrade, chacun selon son rang.
À côté d’Espinosa se tenait un jeune page que nul ne
connaissait, hormis le roi et le grand inquisiteur cependant, car
le premier avait honoré le page d’un gracieux sourire et le second
le tolérait à son côté alors qu’il eût dû se tenir derrière. Bien
mieux, un tabouret recouvert d’un riche coussin de velours était
placé à la gauche de l’inquisiteur, sur lequel le page s’était
assis le plus naturellement du monde. En sorte que le roi, dans son
fauteuil, n’avait qu’à tourner la tête à droite ou à gauche pour
s’entretenir à part, soit avec son ministre, soit avec ce page à
qui on accordait cet honneur extraordinaire, jalousé par les plus
grands du royaume qui se voyaient relégués dans l’ombre par la
rigoureuse étiquette.
Ce mystérieux page n’était autre que Fausta.
Fausta, le matin même, avait livré à Espinosa le fameux
parchemin qui reconnaissait Philippe d’Espagne comme unique
héritier de la couronne de France. Le geste spontané de Fausta lui
avait concilié la faveur du roi et les bonnes grâces du ministre.
Elle n’avait cependant pas abandonné la précieuse déclaration du
feu roi Henri III sans poser ses petites conditions.
L’une de ces conditions était qu’elle assisterait à la course
dans la loge royale et qu’elle y serait placée de façon à pouvoir
s’entretenir en particulier, à tout instant, avec le roi et son
ministre. Une autre condition, comme corollaire de la précédente,
était que tout messager qui se présenterait en prononçant le nom de
Fausta serait immédiatement admis en sa présence, quels que fussent
le rang, la condition sociale, voire le costume de celui qui se
présenterait ainsi.
D’Espinosa connaissait suffisamment Fausta pour être certain
qu’elle ne posait pas une telle condition par pure vanité. Elle
devait avoir des raisons sérieuses pour agir ainsi. Il s’empressa
d’accorder tout ce qu’elle demandait. Quant au roi, mis au courant,
il ratifia d’autant plus volontiers que toutes les autres
conditions de Fausta concernaient uniquement Pardaillan contre qui
elle apportait une aide d’autant plus précieuse que
désintéressée.
Or le roi avait une dent féroce contre ce petit gentilhomme,
cette manière de routier sans feu ni lieu, qui l’avait humilié,
lui, le roi, et qui, non content de malmener ses fidèles, dans sa
propre antichambre, avait eu l’audace de lui parler devant toute sa
cour avec une insolence qui réclamait un châtiment exemplaire. Le
roi avait la rancune tenace, et s’il s’était résigné à patienter,
reconnaissant la valeur des arguments fournis par Espinosa et
Fausta réunis, il ne renonçait pas pour cela à se
Weitere Kostenlose Bücher