Les amours du Chico
ceintures garnies de dagues de
toutes les dimensions, son étonnement et son inquiétude se fussent
indubitablement changés en effroi.
Cet effroi lui-même se fût changé en affolement si elle avait pu
remarquer les signes d’intelligence que des hommes échangeaient
entre eux et avec les deux complaisants soldats, raides et
immobiles, et les yeux ardents avec lesquels tous paraissaient la
couver, comme une proie sur laquelle ils allaient fondre !
Mais la Giralda, tout à son bonheur de se voir si
merveilleusement placée, ne remarqua rien. Et quant au Torero, qui,
lui, n’eût pas manqué de faire ces remarques et se serait empressé
de la conduire ailleurs, il était, malheureusement, occupé
ailleurs.
Pardaillan était parti de l’hôtellerie vers les deux heures. La
course devant commencer à trois heures, il avait une heure devant
lui pour franchir une distance qu’il eût pu facilement parcourir en
un quart d’heure.
Derrière lui marchait un moine qui ne paraissait pas se soucier
du gentilhomme qui le précédait, trop occupé qu’il était à égrener
un énorme chapelet qu’il avait à la main. Seulement de distance en
distance, principalement au croisement de deux rues, le moine
faisait un signe imperceptible tantôt à quelque mendiant, tantôt à
un soldat, tantôt à un religieux, et le mendiant, le soldat ou le
religieux, après avoir répondu par un autre signe, s’élançait
aussitôt vers une destination inconnue et disparaissait en un clin
d’œil.
Pardaillan allait le nez au vent, sans se presser. Il avait le
temps, que diable ! N’était-il pas invité directement par le
roi en personne ? Il ferait beau voir qu’on ne trouvât pas une
place convenable pour le représentant de Sa Majesté le roi de
France !
Quant à se dire qu’après son algarade de l’avant-veille, où il
avait si fort malmené, dans l’antichambre du roi, le seigneur
Barba-Roja, sous les yeux mêmes de Sa Majesté à qui, pour comble,
il avait parlé de façon plutôt cavalière ; quant à se dire
qu’après l’avertissement que lui avait donné Mgr d’Espinosa qui, de
plus, l’avait fait passer par des transes qui lui donnaient encore
le frisson quand il y pensait ; quant à se dire qu’il serait
peut-être prudent à lui de ne pas se montrer à ces puissants
personnages qui, sûrement, devaient lui vouloir la male mort,
Pardaillan n’y pensa pas.
Pas davantage il ne pensa à M me Fausta, qui,
certainement, devait être furieuse d’avoir vu s’écrouler le joli
projet qu’elle avait formé de le faire mourir de faim et de soif,
plus furieuse encore de l’avoir vu assommer à coups de banquette
les estafiers qu’elle avait lâchés sur lui et de le voir se
retirer, libre, sans une écorchure, désinvolte et narquois. Il ne
pensa pas davantage que M me Fausta n’était pas
femme à accepter bénévolement sa défaite et que, sans doute, elle
préparait une revanche terrible.
Sans compter le menu fretin tel que le señor de Almaran, dit
Barba-Roja, et son lieutenant, le familier Centurion, sans compter
Bussi-Leclerc, et Chalabre, et Montsery, et Sainte-Maline et ce
cardinal Montalte, digne neveu de M. Peretti, sans compter
toute la prêtraille de l’Inquisition et toute la moinerie
d’Espagne.
Pardaillan oubliait ce superbe duc de Ponte-Maggiore qu’il avait
quelque peu froissé à Paris. Il est juste de dire qu’il ignorait
complètement l’arrivée à Séville du duc, son duel avec Montalte, et
que tous deux, le duc et le cardinal réconciliés dans leur haine
commune de Pardaillan, attendaient impatiemment d’être remis de
leurs blessures qui, pour le moment, les tenaient cloués, pestant
et sacrant, sur les lits que le grand inquisiteur avait mis à leur
disposition.
Pardaillan ne se dit rien de tout cela. Ou s’il se le dit, il
passa outre, ce qui revient au même.
Pardaillan ne se dit qu’une chose : c’est que le fils de
don Carlos, pour lequel il s’était pris d’affection, aurait
sans : doute besoin de l’appui de son bras, et avec son
insouciance accoutumée il allait au secours de son ami, sans
s’inquiéter des suites que sa générosité pourrait avoir pour
lui-même.
Pardaillan allait donc sans se presser, ayant le temps. Mais
tout en avançant d’un pas nonchalant, sous le soleil qui dardait
âprement, il avait l’œil aux aguets et la main sur la garde de
l’épée.
De temps en temps il se retournait d’un air indifférent. Mais le
moine qui
Weitere Kostenlose Bücher