Les amours du Chico
le suivait toujours, pas à pas, avait un air si confit en
dévotion qu’il ne lui vint pas à l’esprit que ce pouvait être un
espion qui le serrait de près.
Toutefois nous n’oserions l’affirmer, car Pardaillan avait des
manières à lui de s’amuser à froid, qui étaient quelque peu
déconcertantes et qui faisaient qu’on ne savait pas au juste à quoi
s’en tenir avec ce diable d’homme.
Quoi qu’il en soit, il n’était pas depuis plus de cinq minutes
dans la rue qu’il se mit à renifler comme un chien de chasse qui
flaire une piste.
« Oh ! oh ! songea-t-il ; je sens la
bataille ! »
Du coup le moine suiveur fut complètement dédaigné. Le souvenir
des décisions prises par Fausta, dans la réunion nocturne qu’il
avait surprise, lui revint à la mémoire.
– Diable ! fit-il, devenu soudain sérieux, je pensais
qu’il s’agissait d’un simple coup de main. Je m’aperçois que la
chose est autrement grave que je n’imaginais.
D’un geste que la force de l’habitude avait rendu tout machinal,
il assujettit son ceinturon et s’assura que l’épée jouait aisément
dans le fourreau. Mais alors il s’arrêta net au milieu de la
rue.
– Tiens ! fit-il avec stupeur, qu’est-ce que
cela ?
Cela, c’était sa rapière.
On se souvient qu’il avait perdu son épée en sautant dans la
chambre au parquet truqué. On se souvient qu’en assommant les
hommes de Centurion, lâchés sur lui par Fausta, il avait ramassé la
rapière échappée des mains d’un éclopé et l’avait emportée.
Chaque fois qu’un homme d’action, comme Pardaillan, mettait
l’épée à la main, il confiait littéralement son existence à la
solidité de sa lame. L’adresse et la force se trouvaient annihilées
si le fer venait à se briser. Les règles du combat étant loin
d’être aussi sévères que celles d’à présent, un homme désarmé était
un homme mort, car son adversaire pouvait le frapper sans pitié,
sans qu’il y eût forfaiture. On conçoit dès lors l’importance
capitale qu’il y avait à ne se servir que d’armes éprouvées et le
soin avec lequel ces armes étaient vérifiées et entretenues par
leur propriétaire.
Pardaillan, exposé plus que quiconque, apportait un soin
méticuleux à l’entretien des siennes. De retour à l’auberge il
avait mis de côté l’épée conquise, réservant à plus tard d’éprouver
l’arme. Il avait incontinent choisi dans sa collection une autre
rapière pour remplacer celle perdue.
Or Pardaillan venait de s’apercevoir là, dans la rue, que la
rapière qu’il avait au côté était précisément celle qu’il avait
ramassée la veille et mise de côté.
– C’est étrange, murmurait-il à part lui. Je suis pourtant
sûr de l’avoir prise à son clou. Comment ai-je pu être distrait à
ce point ?
Sans se soucier des passants, assez rares du reste, il tira
l’épée du fourreau, fit ployer la lame, la tourna, la retourna en
tout sens, et finalement la prit par la garde et la fit siffler
dans l’air.
– Ah ! par exemple ! fit-il, de plus en plus
ébahi, je jurerais que ce n’est pas là l’épée que j’ai ramassée
chez M me Fausta. Celle-ci me paraît plus
légère.
Il réfléchit un moment, cherchant à se souvenir :
– Non, je ne vois pas. Personne n’a pénétré dans ma
chambre. Et pourtant… c’est inimaginable !…
Un moment il eut l’idée de retourner à l’auberge changer son
arme. Une sorte de fausse honte le retint. Il se livra à un nouvel
examen de la rapière. Elle lui parut parfaite. Solide, flexible,
résistante, bien en main quant à la garde, très longue, comme il
les préférait, il ne découvrit aucun défaut, aucune tare, ne vit
rien de suspect.
Il la remit au fourreau et reprit sa route en haussant les
épaules et en bougonnant :
– Ma parole, avec toutes leurs histoires d’inquisition, de
traîtres, d’espions et d’assassins, ils finiront par faire de moi
un maître poltron. La rapière est bonne, gardons-la, mordieu !
et ne perdons pas notre temps à l’aller changer, alors qu’il se
passe des choses vraiment curieuses autour de moi.
En effet, il se passait autour de lui des choses qui eussent pu
paraître naturelles à un étranger, mais qui ne pouvaient manquer
d’éveiller l’attention d’un observateur comme Pardaillan, qui
connaissait bien la ville maintenant.
À l’heure qu’il était, la plus grande partie de la population
s’écrasait sur la
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