Les amours du Chico
secoua sa tête entre les cornes
de laquelle pendait le flot de rubans dont Barba-Roja devait
s’emparer pour être proclamé vainqueur ; à moins qu’il ne
préférât tuer le taureau, auquel cas le trophée lui revenait de
droit, même si la bête était mise à mort par l’un de ses hommes et
par n’importe quel moyen.
Le taureau secoua plusieurs fois sa tête, comme s’il eût voulu
jeter bas la sorte de stupeur qui pesait sur lui. Puis son œil de
feu parcourut la piste. Tout de suite, à l’autre extrémité, il
découvrit le cavalier immobile, attendant qu’il se décidât à
prendre l’offensive.
Dès qu’il aperçut cette statue de fer, il se rua en un galop
effréné.
C’était ce qu’attendait l’armure vivante, qui partit à fond de
train, la lance en arrêt.
Et tandis que l’homme et la bête, rués en une course échevelée
fonçaient droit l’un sur l’autre, un silence de mort plana sur la
foule angoissée.
Le choc fut épouvantablement terrible.
De toute la force des deux élans contraires, le fer de la lance
pénétra dans la partie supérieure du cou.
Barba-Roja se raidit dans un effort de tous ses muscles
puissants pour obliger le taureau à passer à sa droite, en même
temps qu’il tournait son cheval à gauche. Mais le taureau poussait
de toute sa force prodigieuse, augmentée encore par la rage et la
douleur, et le cheval, dressé droit sur ses sabots de derrière,
agitait violemment dans le vide ses jambes de devant.
Un instant on put craindre qu’il ne tombât à la renverse,
écrasant son cavalier dans sa chute.
Pendant ce temps, les aides de Barba-Roja, se glissant derrière
la bête, s’efforçaient de lui trancher les jarrets au moyen de
longues piques dont le fer, très aiguisé, affectait la forme d’un
croissant. C’est ce que l’on appelait la
media-luna.
Tout à coup, sans qu’on pût savoir par suite de quelle manœuvre,
le cheval, dégagé, retombé sur ses quatre pieds, fila ventre à
terre, se dirigeant vers la barrière, comme s’il eût voulu la
franchir, tandis que le taureau poursuivait sa course en sens
contraire.
Alors ce fut la fuite éperdue chez les auxiliaires de
Barba-Roja, personne, on le conçoit, ne se souciant de rester sur
le chemin du taureau qui courait droit devant lui.
Cependant, ne rencontrant pas d’obstacles, ne voyant personne
devant elle, la bête s’arrêta, se retourna et chercha de tous les
côtés, en agitant nerveusement sa queue. Sa blessure n’était pas
grave ; elle avait eu le don de l’exaspérer. Sa colère était à
son paroxysme et il était visible – toutes ses attitudes parlaient
un langage très clair, très compréhensible – qu’elle ferait payer
cher le mal qu’on venait de lui faire. Mais, devenue plus
circonspecte, elle resta à la place où elle s’était arrêtée et
attendit, en jetant autour d’elle des regards sanglants.
Dans sa pose très fière, dans sa manière de chercher autour
d’elle, on pouvait deviner l’étonnement que lui causait la
disparition, inexplicable pour elle, de l’ennemi qu’elle croyait
cependant bien tenir au bout de ses cornes. Il y avait aussi la
honte d’avoir été bafouée, la douleur d’avoir été frappée.
Étant données les dispositions nouvelles de la bête, étant donné
surtout qu’elle se tenait sur ses gardes, maintenant il était clair
que la deuxième passe serait plus terrible que la première.
Barba-Roja avait poussé jusqu’à la barrière. Arrivé là, il
s’arrêta net et il fit face à l’ennemi. Il attendit un instant très
court, et voyant que le taureau semblait méditer quelque coup et ne
paraissait pas disposé à l’attaque, il mit son cheval au pas et
s’en fut à sa rencontre en le provoquant, en l’insultant, comme
s’il eût été à même de le comprendre.
– Taureau ! criait-il à tue-tête, va ! Mais va
donc !
(Anda ! anda !)
Lâche !
couard ! chien couchant !… Attends un peu, je vais à toi,
et gare le fouet !
Le taureau agitait son énorme tête comme pour dire :
– Non ! Tu m’as joué une fois… c’est une de trop.
Mais, sournoisement, il épiait les moindres gestes de l’homme
qui avançait lentement, prêt à saisir au bond l’occasion
propice.
Au fur et à mesure qu’il approchait de l’animal, l’homme
accélérait son allure et redoublait d’injures vociférées d’une voix
de stentor. C’était d’ailleurs dans les mœurs de l’époque. Dans un
combat, les
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