Les amours du Chico
comme ceux-là avaient une consigne
et savaient d’avance ce qu’ils avaient à faire, ils firent comme
ceux qui n’avaient rien vu et ne bougèrent pas.
Pardaillan se trouvait du côté des gradins, c’est-à-dire qu’il
était du côté opposé à celui que les troupes occupaient peu à peu.
Il vit fort bien le mouvement se dessiner et ébaucha un sourire
railleur.
Au début de la course du Torero, il n’avait autour de lui qu’un
nombre plutôt restreint d’ouvriers, d’aides, d’employés aux basses
besognes qui avaient quitté précipitamment la piste au moment de
l’entrée du taureau et s’étaient postés là pour jouir du spectacle
en attendant de retourner sur le lieu du combat pour y effectuer
leur besogne.
Tout d’abord il n’avait prêté qu’une médiocre attention à ces
modestes travailleurs. Mais au fur et à mesure que la course allait
sur sa fin, il fut frappé de la métamorphose qui paraissait
s’accomplir chez ces ouvriers.
Ils étaient une quinzaine en tout. Jusque-là, ils s’étaient
tenus, comme il convenait, modestement à l’écart, armés de leurs
outils, prêts, semblait-il, à reprendre la besogne. Et voici que
maintenant ils se redressaient et montraient des visages
énergiques, résolus, et se campaient dans des attitudes qui
trahissaient une condition supérieure à celle qu’ils affichaient
quelques instants plus tôt.
Et voici que des gentilshommes, surgis il ne savait d’où,
envahissaient peu à peu cette partie du couloir, se massaient près
de la porte où il se tenait, se mêlaient à ces ouvriers qu’ils
coudoyaient et avec qui ils semblaient s’entendre à merveille.
Bientôt la porte se trouva gardée par une cinquantaine d’hommes
qui semblaient obéir à un mot d’ordre occulte.
Et, tout à coup, Pardaillan entendit le grincement comme feutré
de plusieurs scies. Et il vit que quelques-uns de ces étranges
ouvriers s’occupaient à scier les poteaux de la barrière.
Il comprit que ces hommes, jugeant la porte trop étroite,
pratiquaient une brèche dans la palissade, tandis que les autres
s’efforçaient de masquer cette bizarre occupation.
Il dévisagea plus attentivement ceux qui l’environnaient, et
avec cette mémoire merveilleuse dont il était doué, il reconnut
quelques visages entrevus l’avant-veille à la réunion présidée par
Fausta. Et il comprit tout.
« Par Dieu ! fit-il avec satisfaction, voici la garde
d’honneur que Fausta destine à son futur roi d’Espagne, ou je me
trompe fort. Allons, mon petit prince sera bien gardé, et je crois
décidément qu’il se tirera sain et sauf du guêpier où il s’est jeté
inconsidérément. Ces gens-là, le moment venu, jetteront bas la
palissade qu’ils viennent de scier, et au même instant ils
entoureront celui qu’ils ont mission de sauver. Tout va
bien. »
Tout allait bien pour le Torero. Pardaillan aurait peut-être dû
se demander si tout allait aussi bien pour lui-même. Il n’y pensa
pas.
À l’inverse de bien des gens, toujours disposés à s’accorder une
importance qu’ils n’ont pas, notre héros était peut-être le seul à
ne pas connaître sa valeur réelle. Il était ainsi fait, nous n’y
pouvons rien.
L’idée ne l’effleurait même pas qu’il pouvait être visé lui-même
et qu’il se trouvait en position mille fois plus critique que celui
dont il se préoccupait.
« Tout va bien ! » avait-il dit-en songeant au
Torero. Ayant jugé que tout allait bien, il se désintéressa en
partie de ce qui se passait autour de lui pour admirer les passes
merveilleuses d’audace et de sang-froid de don César, arrivé à
l’instant critique de sa course, c’est-à-dire adossé à la porte de
sortie où il avait fini par attirer le taureau qui, dans un
instant, foncerait pour la dernière fois sur lui et irait
s’enfermer lui-même dans l’étroit boyau ménagé à cet effet.
À moins que le Torero ne pût éviter le coup et ne payât de sa
vie, au moment suprême d’en finir, sa trop persistante
témérité.
C’était, en effet, la fin. Quelques minutes encore et tout
serait dit. L’homme sortirait vainqueur de sa longue lutte ou
tomberait frappé à mort.
Aussi les milliers de spectateurs haletants n’avaient d’yeux que
pour lui. Pardaillan fit comme tout le monde et regarda
attentivement.
Et tout à coup, averti par quelque mystérieuse intuition, il se
retourna et aperçut à quelques pas de lui Bussi-Leclerc qui, avec
un sourire
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