Les amours du Chico
lui
restait, Juana ne fut pas plutôt à terre que, saisissant la matrone
par la main, elle l’entraîna violemment, en disant d’une voix
coupée de sanglots :
– Viens ! allons-nous en ! partons ! Ne
restons pas une minute de plus ici ! Je ne veux plus voir, je
ne veux plus entendre !
Et avec une inconscience qui assomma littéralement la nourrice,
elle ajouta :
– Maudite soit l’idée que tu as eue de me conduire à cette
course !
Et Barbara, qui ne savait plus ce qu’elle devait penser, suivit
comme un chien fouetté, non sans grommeler entre ses dents, pour
elle-même, car elle se rendait bien compte que, dans l’état de
fureur exaltée où elle se trouvait, sa maîtresse ne pouvait
l’entendre :
– La peste soit des jeunes maîtresses qui veulent venir à
la course et puis veulent s’en retourner, sans qu’on sache
pourquoi, au moment le plus intéressant ! Sainte Barbe nous
soit en aide ! ma maîtresse est devenue démente ! Sans
quoi se serait-elle avisée de tambouriner le ventre de sa nourrice
à coups de talon, comme on fait d’une peau d’âne !
Le tout accompagné de force signes de croix, de patenôtres, de
gestes d’exorcisme, destinés à mettre en fuite le malin esprit qui
s’était, sans conteste, introduit dans le corps de son enfant.
C’est ainsi que la petite Juana n’assista pas à la fin de la
course. C’est ainsi que, sans s’en douter, elle échappa à la
bagarre qui devait suivre et dans laquelle elle courait le risque
de perdre la vie ; c’est ainsi qu’elle échappa à la mort qui
planait sur cette multitude de curieux.
Le Chico ne vit pas Juana. Il ne sut rien par conséquent de
l’accès de frénésie qui s’était emparé d’elle. Et qui sait, il
était si naïf que peut-être n’eût-il pas compris s’il eût vu et
entendu. Et Juana elle-même était si inconsciente de ce qui se
passait en elle que peut-être, dans sa crise furieuse, l’eût-elle
battu, jeté à terre, piétiné et meurtri à grands coups de ses
grands talons effilés.
Chapitre 11 VIVE LE ROI CARLOS !
Cependant le taureau avait été lâché.
Tout d’abord, comme presque toujours, ébloui par la lumière
éclatante, succédant sans transition à l’obscurité d’où il sortait,
il s’arrêta, indécis, humant l’air, frappant ses flancs de sa
queue, agitant sa tête.
Le Torero lui laissa le temps de se reconnaître, puis, il fit
quelques pas à sa rencontre, l’excitant de la voix, lui présentant
sa cape déployée.
Le taureau ne se fit pas répéter l’invite. Ce morceau de satin
écarlate qu’on lui présentait lui tira l’œil tout de suite, et il
fonça droit sur lui, tête baissée.
Ce fut un moment d’indicible émotion parmi ceux qui ne
souhaitaient pas la mort du Torero. Pardaillan lui-même, empoigné
par la tragique grandeur de cette lutte inégale, suivait avec une
attention passionnée les phases de la passe.
Le Torero, qui paraissait chevillé au sol, attendit le choc,
sans bouger, sans faire un geste. Au moment où le taureau allait
donner son coup de corne, il déplaça la cape à droite. Prodige, le
taureau suivit le morceau d’étoffe qu’il frappa. En passant, il
frôla le Torero.
La seconde d’après, les spectateurs haletants virent don César
qui, la cape jetée sur les reins, se retirait avec autant d’aisance
et de tranquillité qu’il eût pu en montrer dans son intérieur
paisible.
Un tonnerre d’acclamations salua ce coup d’audace exécuté avec
un sang-froid et une maîtrise incomparables. Même les courtisans
oublièrent tout pour applaudir. Le roi, d’ailleurs, n’avait pu
dissimuler un geste émerveillé.
Le taureau, stupéfait de n’avoir frappé que le vide, se rua de
nouveau sur l’homme. Celui-ci s’enroula dans sa cape en la tenant
par les extrémités du collet, et, tournant le dos à la bête, il se
mit à marcher paisiblement devant elle.
La bête frappa furieusement à droite. Elle ne rencontra que
l’étoffe. Elle retourna à la charge et frappa à gauche. Le Torero,
par une série de balancements du corps, évitait les coups et lui
présentait toujours l’étoffe. Puis il se mit à décrire des
demi-cercles, et le taureau suivit la tangente de ces demi-cercles
sans jamais pouvoir toucher autre chose que ce leurre qu’on lui
présentait.
Et les acclamations se firent délirantes.
Que les amateurs de courses modernes ne sourient pas d’un air
dédaigneux et ne murmurent pas ! Mais ce
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