Les amours du Chico
vainqueur. Il
pouvait se retirer. Mais on savait que s’il ne tuait jamais la
bête, il s’imposait à lui-même de la chasser de la piste, seul, par
ses propres moyens.
Tout n’était pas dit encore. Par des jeux multiples et variés,
semblables à ceux qu’il venait d’exécuter avec tant de succès, il
lui fallait acculer la bête à la porte de sortie. Pour cela,
lui-même devait se placer devant cette porte et amener le taureau à
foncer une dernière fois sur lui.
Lorsqu’il recevait, sans reculer d’un pas, le choc de la brute
leurrée par la cape, il était au milieu de la piste. Il avait
l’espoir derrière lui. Il pouvait au besoin reculer. Ici, toute
retraite lui était impossible. Il ne pouvait que s’effacer à droite
ou à gauche.
Que le comparse chargé d’ouvrir la porte par laquelle, emporté
par son élan, devait passer le taureau, hésitât seulement un
centième de seconde, et c’en était fait de lui. C’était l’instant
le plus critique de sa course.
Et notez qu’avant d’en arriver là, il lui faudrait risquer un
nombre indéfini de passes pendant lesquelles sa vie ne tiendrait
qu’à un fil. Ce pouvait être très bref, ce pouvait être
effroyablement long. Cela dépendrait du taureau.
La multitude savait tout cela. On respira longuement, on reprit
des forces, en vue de supporter les émotions violentes de la fin de
cette course.
Lorsque le taureau serait chassé de la piste, le Torero aurait
le droit de déposer son trophée aux pieds de la dame de son
choix ; pas avant. Ainsi en avait-il décidé lui-même.
Cette satisfaction, bien gagnée, on en conviendra, devait
cependant lui être refusée, car c’était l’instant qui avait été
choisi précisément pour son arrestation.
Aussi, pendant qu’il risquait sa vie avec une insouciante
bravoure, uniquement pour la satisfaction d’accomplir jusqu’au bout
la tâche qu’il s’était imposée de mettre le taureau hors de la
piste, pendant ce temps les troupes de d’Espinosa prenaient les
dernières dispositions en vue de l’événement qui allait se
produire.
Le couloir circulaire était envahi. Non plus, cette fois, par la
foule des gentilshommes, mais bien par des compagnies nombreuses de
soldats, armés de bonnes arquebuses, destinées à tenir en respect
les mutins, si mutinerie il y avait.
Toutes ces troupes se massaient du côté opposé aux gradins,
c’est-à-dire qu’elles prenaient position du côté où était massé le
populaire. Et cela se conçoit, les gradins étant occupés par les
invités de la noblesse, soigneusement triés, et sur lesquels, par
conséquent, le grand inquisiteur croyait pouvoir compter : il
n’y avait nulle nécessité de garder ce côté de la place. Il était
naturellement gardé par ceux qui l’occupaient en ce moment et qui
étaient destinés à devenir, le cas échéant, des combattants.
Tout l’effort se portait logiquement du côté où pouvait éclater
la révolte, et là officiers et soldats s’entassaient à s’écraser,
attendant en silence et dans un ordre parfait que le signal convenu
fût fait pour envahir la piste, qui deviendrait ainsi le champ de
bataille.
S’il y avait révolte, le peuple se heurterait à des masses
compactes d’hommes d’armes casqués et cuirassés, sans compter ceux
qui occupaient les rues adjacentes et les principales maisons en
bordure de la place, chargés de le prendre par derrière. Par ce
dispositif, la foule se trouvait prise entre deux feux.
Les hommes chargés de procéder à l’arrestation n’auraient donc
qu’à entraîner le condamné du côté des gradins où ils n’avaient que
des alliés. Rien ne devait les distraire de leur besogne bien
délimitée et ils devaient laisser aux troupes le soin de tenir
tête, s’il y avait lieu, à la populace.
Ces mouvements de troupes s’effectuaient, nous venons de le
dire, pendant que le Torero, sans le savoir, les favorisait en
détournant l’attention des spectateurs concentrée sur les passes
audacieuses qu’il exécutait en vue d’amener le taureau en face de
la porte de sortie.
Parmi ceux qui ne savaient rien, bien peu prêtèrent attention à
ces mouvements de troupes ; ils étaient passionnément
intéressés par le spectacle pour détacher, ne fût-ce qu’une
seconde, leurs yeux de lui. Ceux qui les remarquèrent n’y
attachèrent aucune importance.
Ceux qui connaissaient les dessous de l’affaire, au contraire,
les remarquèrent fort bien. Mais
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