Les Amours qui ont fait la France
sans Peur et le duc Charles d’Orléans, fils de leur victime.
À l’issue du repas, le duc de Bourgogne entraîna la reine dans une encoignure de fenêtre et lui dit qu’il pourrait être fort intéressant pour eux deux de connaître les secrets sentiments du jeune Charles, ajoutant que rien n’incitait aux confidences comme un tête-à-tête amoureux…
Isabeau savait comprendre à demi-mot ce genre de suggestion.
Une heure plus tard, elle était au lit avec le fils de son ancien amant…
Cette soirée de réconciliation fut naturellement sans lendemain, et la guerre civile s’alluma définitivement d’un bout à l’autre du royaume.
C’est alors que Charles d’Orléans épousa la fille du comte d’Armagnac. Mariage en apparence peu important, mais qui allait donner sa physionomie définitive à la France divisée, puisque, dès lors, il y eut d’un côté les Bourguignons et, de l’autre, les Armagnacs…
Azincourt fut l’une des premières conséquences désastreuses de cette lutte fratricide qui allait durer vingt-six ans et ruiner le royaume. Le 14 octobre 1415, la France perdit trente mille hommes, Charles d’Orléans fut fait prisonnier [125] ainsi que le duc de Bourbon, et la chevalerie fut anéantie.
Cette défaite, pourtant, ne causa aucun chagrin à Isabeau. Au contraire, il lui sembla qu’elle pourrait atteindre plus facilement ses buts ambitieux avec le concours de l’Anglais ; et elle se disposa à trahir…
En attendant, et sans aucun égard pour le malheur qui venait de frapper la France, elle se mit à organiser des fêtes dont tous les chroniqueurs nous parlent avec indignation.
Certains soirs, elle aimait aussi se déguiser en prostituée avec quelques dames de sa suite et s’en aller par les rues de Paris « pour se livrer aux désirs impurs » des clercs de l’Université…
Un jour, le connétable d’Armagnac fut mis au courant de ces navrantes distractions. Il se livra à une enquête et découvrit que l’agent de tous les plaisirs de la reine, son favori le plus taré, était Bois-Bourdon.
Il alla trouver le roi.
— Sire, dit-il, vous êtes vilainement trompé. Venez vous en convaincre par vous-même.
Et il conduisit Charles VI à Vincennes où la reine tenait à ce moment sa cour. Le destin voulut qu’à l’instant précis où ils arrivaient devant les appartements privés d’Isabeau, ils aperçussent Bois-Bourdon qui sortait d’une chambre avec une désinvolture qui en disait long sur ses accointances dans la maison. En reconnaissant le roi, le favori pâlit un peu, mais passa sans s’arrêter.
Charles, offusqué par ce manque de respect, donna immédiatement l’ordre au connétable d’Armagnac de faire emprisonner l’insolent et, renonçant à voir sa femme, retourna à Paris.
Bois-Bourdon, qu’on avait arrêté sur-le-champ, fut conduit au Châtelet. Là, on lui fit subir plusieurs fois la question devant le roi, qui, nous disent les chroniqueurs, en apprit beaucoup plus qu’il n’en voulut savoir…
Finalement, le mauvais génie de la reine fut condamné à mort. Le soir même, deux gardes allèrent le jeter dans la Seine, « cousu dans un sac de cuir » sur lequel étaient écrits ces mots : « Laissez passer la Justice du roi… »
Quelques jours après l’exécution de Bois-Bourdon, le dauphin Charles, d’accord avec le connétable d’Armagnac, donna l’ordre d’enlever la reine et de la conduire sous bonne escorte à Blois d’abord, puis à Tours.
Isabeau n’eut pas le temps d’appeler à son secours le duc de Bourgogne qui se trouvait pour lors en Normandie. On l’enferma dans un chariot, malgré ses protestations, et le convoi quitta Vincennes.
Être menée en exil était déjà une rude humiliation pour la reine ; mais lorsqu’elle apprit qu’on n’emportait aucune des robes somptueuses dont elle aimait se parer, ni aucun de ses bijoux, elle faillit tomber en syncope.
Pendant le voyage, qui dura trois jours, elle simula de fréquents malaises dans l’espoir d’apitoyer les membres de son escorte. En vain, bien entendu. Et, par un soir doux de mai 1417, elle arriva à Tours où l’attendaient trois hommes d’aspect sévère qui devaient devenir ses gardiens.
Sans aucun égard, on la fit entrer dans un château qu’on avait transformé en prison. Elle allait y mener une existence fort pénible. Objet d’une surveillance constante, elle ne pouvait ni écrire, ni recevoir de visite, ni se promener
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