Les Amours qui ont fait la France
Louis d’Orléans devait mourir.
Isabeau versa quelques larmes dont Jean sans Peur fut troublé. Puis, sûre de son charme, elle parla longuement en le considérant dans les yeux, et il se prit à l’aimer.
Quand elle eut fini son discours, il se jeta à ses pieds et lui baisa les mains.
— Je vous adore, murmura-t-il.
La reine prit alors son plus bel air hypocrite et dit au malheureux qui venait de se rendre sans combattre :
— Ah ! monsieur, vous ne paraissiez pas plutôt à la cour que mes liens avec Orléans ne tenaient plus qu’au besoin que j’avais de lui…
Ensuite de quoi elle retint le duc à souper chez elle et à passer la nuit « en une occupation propre à sceller l’amitié »…
Dès le lendemain, Jean sans Peur entreprit les préparatifs du meurtre qui avait été décidé avec la reine. Après avoir chargé un Normand, Raoul d’Octonville, de réunir quelques hommes de main, il loua secrètement une maison située non loin de l’hôtel Barbette où habitait Isabeau, et, bientôt, dix-huit personnages fort peu recommandables vinrent s’y installer secrètement, dans l’attente d’un ordre.
Pendant que le guet-apens, dans lequel le duc d’Orléans devait périr, s’organisait ainsi peu à peu, Jean sans Peur pensa qu’il serait bon d’endormir la méfiance de son rival ; et il se réconcilia publiquement et solennellement avec lui. Au cours d’une entrevue, les deux cousins se jurèrent « vraie fraternité d’armes ensemble par spéciales convenances sur ce fait, laquelle chose doit de droit emporter telle et si grande loyauté, comme savent tous nobles hommes ». Puis ils échangèrent le collier de leurs ordres et burent le vin à la même coupe.
Pendant six jours, on les vit se donner mille témoignages d’amitié, et, le dimanche 20 novembre 1407, ils assistèrent à la messe côte à côte et communièrent ensemble.
Or depuis longtemps tout était prêt, et le meurtre décidé pour le mercredi suivant.
Ce jour-là, le duc d’Orléans était allé voir la reine qui lui avait demandé de passer la soirée avec elle.
Bois-Bourdon, confident de toutes les intrigues, était caché dans un cabinet voisin de la chambre où les deux amants se trouvaient. Il les entendit parler longuement. La reine reprocha à Louis son inconduite ; mais en termes si doux que le duc sollicita son pardon, et l’obtint. Isabeau poussa alors l’ignominie jusqu’à accepter les caresses de cet homme qu’elle allait, l’instant d’après, envoyer à la mort.
Tout à coup, un grand bruit se fit entendre dans l’hôtel.
— Qu’est ceci ? demanda Louis, encore en désordre.
Un homme entra dans la pièce, et le duc d’Orléans reconnut Schaz de Courtheuse, valet de chambre de Charles VI.
— Monseigneur, dit Schaz, le roi vous mande que sans délai vous alliez devers lui. Il a à vous parler bientôt pour des choses qui grandement vous touchent.
Le duc paraissant hésiter, la reine lui caressa l’épaule.
— Allez… Allez, beau-frère, je vais vous attendre jusqu’à matines. Vous reviendrez me dire ce que vous veut le roi.
Alors Louis fit amener sa mule devant le perron et, saluant la reine qui lui adressa un gentil signe de la main, il se disposa à se rendre à l’hôtel Saint-Pol.
Il faisait nuit noire. Devant le duc qui avançait en chantonnant au pas tranquille de sa monture, trois valets portaient des flambeaux. À côté d’eux se trouvaient, en guise d’escorte, deux écuyers montés sur le même cheval.
Le cortège arriva bientôt devant la maison qu’avait louée Jean sans Peur. Les dix-huit hommes de Raoul d’Octonville s’étaient rangés dans l’ombre de chaque côté de la rue, prêts à bondir.
En s’approchant, le cheval des écuyers les sentit. Il fit soudain un brusque écart et s’élança au galop dans la nuit, sans que les deux hommes qui le montaient pussent le retenir.
Tout alors se passa très vite : Raoul d’Octonville s’élança sur le duc et lui porta un violent coup de hache à l’épaule.
Louis crut avoir affaire à de vulgaires voleurs ; il s’écria :
— Je suis le duc d’Orléans !
— C’est ce que nous demandons ! répondit d’Octonville.
Et il assena au frère du roi un second coup de hache. Aussitôt, les dix-huit hommes se jetèrent sur lui et le frappèrent à coups d’épée, de masse et de pique jusqu’à ce que sa cervelle jaillisse sur le pavé.
Un des pages du duc, Jacob de Merre,
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