Les années folles
Saint-Edmond quand il avait aperçu une demi-douzaine d’enfants en train de
s’ébattre dans l’eau de la rivière, en face de la forge Crevier. Leurs cris
excités disaient assez leur joie de se rafraîchir. Suant tout ce qu’il pouvait
sous son épaisse et inconfortable soutane noire , le
vicaire avait poursuivi son chemin vers le presbytère en enviant les jeunes d’avoir
la chance de se tremper dans de l’eau froide.
Il faisait si chaud que même les murs épais du presbytère étaient incapables
d’apporter un peu de fraîcheur. L’abbé essaya bien d’imiter son curé et d’aller
lire son bréviaire, à l’ombre, sur la vaste galerie, en attendant le souper :
rien n’y fit. L’air était comme immobile. Même les bêtes s’étaient mises à l’abri
sous le feuillage des arbres plantés en bordure des champs. L’humidité était
insupportable.
Après le repas du
soir, Alexandre Martel se retira très tôt dans sa chambre, attendant avec
impatience de goûter enfin un peu de la fraîcheur que ne manquerait pas d’apporter
le coucher du soleil. Le soleil baissa à l’horizon, puis disparut mais la
faible brise attendue n’arriva pas. La chaleur d’étuve persistait.
Quand,
un peu après vingt et une heures, le jeune prêtre entendit claquer la porte de
la chambre à coucher de son curé, une idée saugrenue germa dans sa tête. Pourquoi
n’irait-il pas se baigner dans la rivière, lui aussi ? Il n’avait qu’à
attendre un peu. Dans moins d’une heure, il était certain qu’il n’y aurait plus
personne à l’extérieur. Il n’aurait alors qu’à sortir du presbytère sur le bout
des pieds, traverser le cimetière sans être vu et descendre sur le bord de la
rivière. Rendu là, il ne lui resterait qu’à suivre la rive jusqu’au gué situé
au bout du village. L’excursion ne devait pas être si difficile que ça puisque,
passé le couvent, la plupart des habitants du village qui demeuraient sur le
bord de la rivière ne s’étaient pas donné la peine de clôturer leur terrain jusqu’au
bord de l’eau.
L’abbé
Martel attendit donc au moins une heure avant de passer aux actes.
Vers vingt-deux heures trente, il souffla sa lampe à huile et
entrouvrit la porte de sa chambre à coucher. Dans le noir, il s’aventura
silencieusement, les souliers à la nain, dans le long couloir, à l’affût du
moindre bruit en provenance de la chambre du curé Lussier. Passant devant la
porte de la chambre de son supérieur, il n’entendit que des ronflements sonores
qui eurent le don de le rassurer. Il était donc le seul éveillé dans les lieux
puisque madame Cournoyer était rentrée chez elle depuis belle lurette, dans sa
petite maison blanche située de l’autre côté de la route, en face du presbytère.
Avec
des ruses de Sioux, le vicaire descendit l’escalier en se guidant grâce à la
clarté de la lune qui pénétrait par la vitre de la porte d’entrée. Enfin, il
ouvrit doucement la porte et sortit sur le balcon avant de s’asseoir sur la
dernière marche de l’escalier pour chausser ses souliers.
À
cette heure avancée, tout était silencieux et noir dans le village. Aucune lumière
ne brillait aux fenêtres. Même si le soleil était couché depuis deux bonnes heures,
la chaleur demeurait étouffante. Pas un souffle de vent ne faisait frissonner
les feuilles des arbres. Le silence n’était troublé que par les aboiements
lointains d’un chien.
Alexandre
Martel contourna le presbytère et se dirigea dans l’obscurité à l’arrière de l’église
pour franchir le portillon qui donnait accès au cimetière. Il traversa ce
dernier e t descendit sur le bord de la
Saint-François, qu’il se mit suivre prudemment jusqu’au gué, au bout du village.
Il avait beau être un peu loin des maisons, assez pour ne pas être reconnu dans
le noir, il prenait tout de même la précaution de se déplacer sans bruit et en
se penchant.
Évidemment,
lorsqu’il parvint à l’endroit où il avait vu les jeunes se baigner durant l’après-midi,
il n’y avait plus personne. La place était déserte. L’abbé tendit l’oreille et
inspecta les lieux à la lueur du clair de lune. Personne. Il n’entendait plus
maintenant que le bruissement de l’eau effleurant les pierres sur la rive.
Sans
perdre plus de temps, il enleva sa soutane, ses souliers, ses chaussettes, son
pantalon et sa chemise qu’il déposa près d’un buisson. Ensuite, il s’avança
avec précaution dans
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