Les années folles
soutane rapiécée.
Un
peu avant six heures, le lendemain matin, le curé Lussier sortit sur la galerie,
à l’arrière du presbytère. Comme tous les matins, le prêtre s’était levé très
tôt parce qu’il adorait voir le lever du soleil. C’était son heure préférée. Tout
était si paisible et si beau à ce moment-là de la journée.
Le
soleil orangé se levait à l’horizon, de l’autre côté de la rivière qu’il apercevait
de son balcon. Peu à peu, la remise et l’écurie derrière le presbytère
sortaient de l’ombre. Le jardin qu’il entretenait avec amour avec l’aide de son
vicaire et du vieux Joseph Groleau, son bedeau, passait du noir au vert. Même l’épouvantail
avait…
Antoine
Lussier sursauta et allongea le cou pour mieux voir.
– Ah
ben, batèche ! Veux-tu ben me dire ce que c’est ça ! s’exclama-t-il.
Sans
perdre un instant, l’homme à la stature imposante descendit lourdement l’escalier
et se précipita vers son jardin d’où il revint deux minutes plus tard, à bout
de souffle. Il entra dans la cuisine et traversa la pièce en faisant claquer
bruyamment la porte derrière lui.
– L’abbé !
L’abbé ! hurla-t-il, debout au pied de l’es calier. Je veux vous voir tout
de suite en bas. Grouillez-vous !
Alexandre
Martel, réveillé en sursaut par cette voix tonnante, s’assit dans son lit, se
demandant s’il avait rêvé. Il avait l’impression qu’il venait à peine de s’endormir,
même s’il semblait déjà commencer à faire clair à l’extérieur. Il tendit le
bras vers sa table de chevet pour s’emparer de son réveille-matin et il plissa
les yeux pour tenter de déchiffrer l’heure.
– M’avez-vous
entendu, l’abbé ?
Cette
fois-ci, il n’y avait pas à se tromper. Le curé Lussier l’appelait bel et bien.
– Oui,
monsieur le curé. J’arrive, répondit le jeune prêtre après avoir entrouvert la
porte de sa chambre.
Le
vicaire se précipita vers sa garde-robe d’où il tira un pantalon et une chemise
sans col. Il s’habilla en un temps record et glissa ses pieds nus dans ses
vieilles pantoufles éculées avant d’ouvrir la porte de sa chambre à coucher et
de descendre au rez-de-chaussée.
Le jeune prêtre alla d’abord jusqu’au bureau de son supérieur. À la vue
de la pièce vide, il rebroussa chemin, regarda en passant dans le salon puis
dans la salle à manger et dans la cuisine. En entrant dans cette dernière pièce,
il aperçut son supérieur qui lui tournait le dos, debout sur le balcon.
– Vous m’avez demandé, monsieur le curé ? fit-il en s’approchant
de la porte-moustiquaire. Je pensais que c’était votre tour, cette semaine, de
dire la messe de sept heures et…
– Venez
donc ici, l’abbé, lui ordonna Antoine Lussier en lui faisant signe de sortir.
– Je
suis pas bien montrable, monsieur le curé, objecta le vicaire. Ma toilette est pas
faite. Je suis même pas rasé et…
– Laissez
faire votre toilette, l’abbé. Je vous invite pas à une parade de mode.
Alexandre
Martel obtempéra et sortit sur le balcon. Il se planta debout à côté de son
supérieur qui le dépassait d’une demi-tête.
– Regardez
le jardin, l’abbé, et dites-moi ce que vous voyez, lui commanda sans ménagement
son curé.
– Bien,
rien de spécial, dit Alexandre Martel après avoir vainement scruté le jardin.
– Regardez comme il faut.
– Je vois pas…
– Bon,
descendez avec moi. Je vais vous montrer ce qu’il y a à voir, moi, lança le
curé Lussier d’une voix rageuse.
Antoine
Lussier entraîna avec lui le jeune prêtre et il s’arrêta brusquement devant l’épouvantail
planté au milieu du jardin.
– Et
ça, c’est quoi ? demanda Antoine Lussier en pointant un doigt accusateur
vers le bonhomme de paille revêtu d’une soutane, avec autour du cou une paire
de souliers attachés par les lacets.
Le
vicaire pâlit en reconnaissant ses effets personnels.
– Si
vous regardez bien, l’abbé, vous allez même découvrir une chemise et des pantalons
bien étendus sur le toit de notre écurie… À qui ça peut bien appartenir, ces
batèches de guenilles-là, d’après vous ?
– À
moi, monsieur le curé. Je pense que j’ai des explications à vous donner, parvint
à dire le pauvre vicaire d’une voix un peu chevrotante.
– Elles
ont besoin d’être bonnes, mon petit abbé, fit le curé d’une voix menaçante. Mais
d’abord, vous allez entrer vos affaires dans
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