Les années folles
personne t’a suggéré de faire cette farce plate là ?
– C’est
sûr, monsieur le curé. J’ai rien fait, moi !
Les
yeux de l’imposant curé se plissèrent et son ton se durcit.
– As-tu
fini de me prendre pour une valise, Emile Tougas ? Il y en a qui t’ont vu
faire ton mauvais coup.
Antoine
Lussier sentit que le jeune Tougas ne cherchait qu’une occasion de lui échapper.
Il fit un pas en avant et le saisit par une épaule sans aucune douceur. Sous la
solide poigne du curé, les jambes d’Emile fléchirent légèrement, mais il
demeura les bras ballants.
– Ecoute-moi
ben, toi ! tonna le prêtre en resserrant son étreinte. Je vais t’enlever
une fois pour toutes le goût de rire des prêtres. Se moquer d’un homme de Dieu,
c’est un grave péché, mon garçon !
La
figure de l’adolescent pâlit.
– Demain
matin, tu vas dire à ton père que tu m’as promis de venir travailler toute la
journée au presbytère. Je veux te voir ici à sept heures. Tu vas me faire un
grand ménage de la remise et tu vas corder dedans tout le bois qu’Arsène
Boisvert et Ernest Veilleux m’ont livré la semaine passée. Pendant que tu feras
cet ouvrage-là, tu réfléchiras au respect qu’on doit aux prêtres. Si jamais t’oublies
de venir, je vais aller te chercher ch ez vous . M’as-tu
compris ?
– Oui, monsieur
le curé, balbutia Emile Tougas.
– Maintenant,
disparais de ma vue et va rejoindre ton père et ta mère dans l’église avant que
je succombe à mon envie de te donner le coup de pied dans le derrière que tu
mérites. Dépêche-toi !
L’adolescent
ne se fit pas répéter l’invitation. Il se précipita vers la porte de la petite
pièce aussitôt que le prêtre libéra son épaule, qu’il avait tenue durant un
long moment comme dans un étau. L’abbé Martel, prêt à entrer dans le chœur pour
célébrer sa messe, le vit traverser la sacristie au pas de charge. Il jeta un
regard interrogateur à son curé qui sortait de la petite pièce. Antoine Lussier
fit comme s’il ne s’était aperçu de rien. Alors, le vicaire coiffa sa barrette
et fit signe à son servant de messe d’avancer.
Le
lendemain matin, une brume humide accueillit Antoine Lussier, toujours aussi
matinal, lorsqu’il sortit sur le balcon arrière du presbytère. Elle s’élevait
des eaux de la rivière et se répandait en une nappe opaque au-dessus des champs
et du cimetière situé derrière l’église. Au moment où il allait rentrer pour
lire son bréviaire, le digne ecclésiastique aperçut Emile Tougas pénétrant dans
la cour arrière. Le prêtre rentra dans la cuisine silencieusement et épia le
garçon par la fenêtre.
L’adolescent,
les mains dans les poches et une vieille casquette enfoncée sur la tête, arborait
un air boudeur et se traînait les pieds. Il sembla avoir un léger mouvement de
recul en apercevant l’énorme monticule de bûches qui l’attendait. Au minimum, il
y avait là une dizaine de cordes de bois, ce qui représentait la dîme des familles
Boisvert et Veilleux pour l’année.
Au
moment où Antoine Lussier allait se retourner pour sortir de la pièce, il sentit
une présence derrière lui. L’abbé Martel venait de jeter un coup d’œil dans la
cour du presbytère.
– Est-ce que
c’est le petit Tougas, monsieur le curé ?
– En plein ça,
l’abbé.
– Qu’est-ce
qu’il vient faire en arrière du presbytère si tôt ?
– Il vient expier
ses péchés, l’abbé, répondit le curé Lussier, énigmatique.
– Ses péchés !
Quels péchés ?
– Et
le secret de la confession, l’abbé, qu’est-ce que vous en faites ? fit le
curé sur un ton bourru. Occupez-vous pas de ça. Vous feriez mieux plutôt de
vous dépêcher d’aller dire votre messe ; vous allez finir par être en
retard.
Quand
le vicaire eut tourné les talons pour sortir du presbytère par la porte avant, le
curé s’assura que l’adolescent s’était bien mis au travail avant de se retirer
dans le salon avec son bréviaire en attendant huit heures, heure où il irait
dire la messe à son tour. Quelques minutes plus tard, il entendit arriver
Agathe Cournoyer qui entreprit immédiatement de dresser la table du premier
repas de la journée des deux prêtres. Il s’arrêta un instant dans la salle à
manger.
– Madame
Cournoyer, on va garder à déjeuner et à dîner le petit Tougas qui va nous
corder notre bois une bonne partie de la journée. Il a déjà commencé à
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