Les années folles
l’eau rafraîchissante, peu profonde à cet endroit. À peine
un peu plus de trois pieds. Alors, avec un délicieux frisson, il se laissa
glisser sur le dos et il ferma les yeux, s’abandonnant au
plaisir extraordinaire de sentir couler toute cette fraîcheur sur sa peau.
Quelques
instants plus tard, après s’être redressé dans l’eau, le prêtre ouvrit soudainement
les yeux et tourna la tête en direction du rivage. Il avait eu la vague impression
de percevoir un mouvement. Puis rien. Durant plusieurs minutes, le jeune homme
continua à profiter de l’eau en bénissant le ciel de lui avoir donné une si merveilleuse
idée.
Finalement, il lui
fallut bien songer à retourner au presbytère. Il avait beau n’avoir à célébrer
sa messe qu’à huit heures chaque matin, cette semaine-là, il lui faudrait tout
de même se lever assez tôt. Désolé d’avoir à mettre fin si vite à un plaisir
aussi rare, il se laissa paresseusement pousser vers la rive par le faible
courant.
Lorsqu’il mit les pieds sur le rivage, un nuage masqua la lune. L’abbé
Martel, pieds nus et en sous-vêtement mouillé, se rendit à l’aveuglette jusqu’au
buisson et se mit à chercher ses vêtements dans l’obscurité la plus complète. Un
bref moment d’affolement le saisit quand il se rendit compte qu’il ne les
retrouvait pas.
Heureusement,
le nuage passa et le clair de lune revint. Le vicaire eut un « ah ! »
de soulagement. Il scruta l’endroit où il était certain de s’être déshabillé :
pas la moindre trace de ses vêtements.
– Voyons
donc, je suis pas fou ! s’exclama-t-il à mi-voix.
Il
se remit à fouiller avec fébrilité une large section de la rive sans plus de succès.
C’était un mystère ! Toutes ses affaires avaient disparu ! Il eut
beau inspecter avec soin les trois ou quatre buissons du secteur : rien.
Catastrophé
et le cœur battant la chamade, le pauvre prêtre dut se résoudre à retourner au
presbytère en sous-vêtement et pieds nus. Même s’il avait la chance de pouvoir
rentrer en suivant la rive, loin de la route, il y avait toujours la
possibilité qu’un paroissien ou une paroissienne l’aperçoive… Quelle honte !
Il ne s’en remettrait jamais. À l’évocation de cette seule possibilité, il en
avait des sueurs froides. Le curé Lussier exigerait sûrement son renvoi et il
aurait à s’expliquer avec monseigneur Côté, qui n’avait pas la réputation d’être
un tendre. Dans le meilleur des cas, il serait changé de diocèse.
L’abbé
ne cessa pas de prier durant les longues minutes que dura son retour au presbytère.
Quand il parvint enfin au pied de l’escalier, son caleçon long avait eu tout le
temps de sécher. En posant le pied sur la première marche de l’escalier, il
avait presque envie de pleurer. Il avait les pieds meurtris et le corps couvert
de piqûres de moustiques.
Mais
il n’était pas encore sauvé. Il lui restait encore une terrible épreuve à
franchir : se rendre à sa chambre sans attirer l’attention de son
supérieur.
Après
avoir invoqué son ange gardien, le jeune prêtre rassembla ses dernières forces
pour franchir la porte du presbytère et la refermer sans bruit derrière lui. Il
se mit ensuite à gravir lentement l’escalier sur le bout des pieds, priant pour
que le curé ne choisisse pas ce moment pour faire une petite excursion nocturne
dans le garde-manger, comme cela lui arrivait assez souvent. Il aurait l’air
fin, en sous-vêtement dans l’escalier !
Pourtant,
Alexandre Martel eut une chance extraordinaire. Il put rentrer dans sa chambre
sans avoir alerté son curé. Après avoir pris quelques minutes pour retrouver
son souffle, il alluma sa lampe à huile et consulta son réveille-matin : une
heure et demie. Il lui fallait dormir. Il éteignit.
Malgré
toute sa volonté de trouver rapidement le sommeil, le vicaire n’y parvint qu’aux
petites heures du matin. Ses pieds lui faisaient trop mal et il ne cessait de
se gratter. Au moment de sombrer, il en était venu à la conclusion que sa
mésaventure ne lui apporterait probablement aucun désagrément trop important. Elle
lui aura coûté sa meilleure soutane, une vieille chemise, un pantalon et une
paire de souliers deux fois ressemelés. Sa vieille mère pourrait toujours lui
confectionner un pantalon et une chemise dans de vieux vêtements laissés par
son défunt père. Pour la soutane, il allait en être quitte pour porter un an de plus sa vieille
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