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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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parole. Il gravit rapidement les marches de la tribune où il remontait pour la première fois. Les vieux jacobins saluèrent de leurs applaudissements sa réapparition. Il les remercia d’un geste en contemplant de là-haut cette salle qu’il avait contribué à regarnir. Sous les lustres de tôle, les gradins derrière lesquels sortait le haut des rudes colonnes supportant la voûte étaient combles aujourd’hui.
    « C’est une grande joie pour moi, commença-t-il, de me retrouver devant vous à cette tribune. Mais nous ne sommes pas ici pour exposer des sentiments, ce sont les pensées et les opinions raisonnées qui importent. Danton vient de dire une chose forte : il faut scruter les intentions de l’exécutif. Puisqu’il n’est pas allé plus loin là-dessus, permettez-moi de le faire à sa place. » Il marqua un temps puis reprit : « Ne vous semble-t-il pas singulier que ce pouvoir, d’ordinaire si lent à se mouvoir, montre un tel empressement quand il s’agit de déclarer la guerre ? Ne vous semble-t-il pas étrange qu’après s’être opposé aux décrets rendus contre les ennemis de la nation, il soit si diligent à frapper ces mêmes ennemis au-delà des frontières ? Ne vous semble-t-il pas alarmant que l’on se prétende si sûr du succès de nos armes, quand nous savons, nous, que les officiers des troupes de ligne sont pour la plupart prêts à donner la main à Bouillé bien plutôt qu’à le combattre, et que nos volontaires patriotes ne seront pas, avant plusieurs mois, en état de participer à de véritables opérations militaires ? Je viens d’en avoir la preuve dans mon département. Examinez ce faisceau de contradictions. Le concours est frappant. Dites-moi s’il peut s’expliquer autrement que par un seul motif : celui d’utiliser la guerre comme un moyen de contre-révolution. Messieurs, j’affirme que le pouvoir exécutif concerte de nous lancer dans une guerre perdue d’avance, afin de briser les forces nationales et de rétablir le trône et l’autel dans toute leur puissance. Je ne mets pas une seconde en doute le patriotisme de Brissot. On connaît assez mon estime pour lui, mais je crains qu’en la circonstance son zèle ne l’emporte et que sa perspicacité ne soit en défaut. Comment peut-il – comment pourrait-on – croire que l’empereur Léopold laissera sans réagir attaquer ses vassaux rhénans ? qu’il restera occupé ailleurs pendant que nous menacerons son empire ? Comment peut-on penser que le pouvoir exécutif n’a pas prévu cette réaction et ne compte pas, justement, sur elle ? Il sait, j’en suis certain, il sait comme tous ceux d’entre nous qui ont le moindre sens des réalités, que la France est actuellement hors d’état de soutenir une campagne. Il pense donc que la guerre se terminera très vite par la défaite de nos armes, que les cohortes étrangères y pénétreront sans difficulté. Et ces armées dont il a besoin, l’unique moyen pour lui de les attirer chez nous n’est-il pas de nous les faire attaquer chez elles ? Certains douteront peut-être d’une intention si criminelle. Elle paraît monstrueuse, j’en conviens. Elle l’est moins toutefois si l’on n’a pas le sang français, et si l’on présume que l’invasion, ne rencontrant point de résistance, ne provoquera pas de ravage. Enfin, c’est évidemment une solution du désespoir. Or, n’oublions pas que, par les récents décrets dont j’approuve totalement l’esprit mais dont je réprouve la brutalité, l’Assemblée législative a réduit l’exécutif au désespoir. »
    Tous les vieux jacobins se levèrent pour acclamer l’orateur. Lorsqu’il regagna sa place au premier rang des gradins, Danton, toujours démonstratif, l’embrassa. « Tu as été sublime, mon ami ! » Le paralytique Couthon, roulant vers eux sa chaise, vint lui dire, de sa voix douce et posée : « J’ai été heureux de vous entendre, monsieur. Vos paroles partent d’un grand cœur et votre pénétration égale vos sentiments. »
    À ce moment, un autre membre du club arriva, essoufflé, du Manège où Narbonne avait poursuivi son discours en demandant un crédit de vingt millions, et conclu par ces mots : « Je le sais, on voudra encore exciter des méfiances. Parmi les hommes qui ont proposé les mesures que le Roi vient de prendre, certains se disposent à les combattre. Mais vous résisterez à ce système dangereux. » Brissot avait protesté contre ces

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