Les autels de la peur
frontières, consiste à mettre un terme aux noirs complots des uns et à repousser les attaques des autres. » Les émigrés en armes, menaçant la France, tiraient toute leur force de la conspiration intérieure. « Frapper avec rigueur les ennemis du dedans ce sera affaiblir par les mêmes coups ceux des frontières dont les premiers sont les agents et la principale espérance… Mais ne faudrait-il pas avoir absolument perdu la raison pour confier au pouvoir exécutif la direction de nos armées ! » De même Robespierre estimait et l’avait dit, le 12, que l’on ne pouvait pas ne point ranger la Cour et ses agents parmi les ennemis de la Révolution. Par conséquent, on confierait à ses pires ennemis la conduite des opérations militaires. « De là résulte que ce que nous avons de plus à craindre, c’est la guerre. »
Claude avait lu ces deux discours dans le Journal de la Société mère. Il retrouvait à présent, en reprenant contact avec le club, une situation politique plus périlleuse encore qu’il l’avait connue l’été dernier, mais plus nette en revanche. Elle découlait d’un enchaînement mécanique de causes et d’effets : l’émigration s’accroissant et devenant sans cesse plus menaçante, le fanatisme du clergé contre-révolutionnaire provoquant des troubles toujours plus graves, l’Assemblée législative, sous la pression de la gauche, avait dû prendre contre les émigrés et les prêtres réfractaires les décrets très rigoureux que Claude, à Limoges, s’attendait à voir repousser par le Roi. Cela n’avait pas manqué. Louis XVI ne voulait point se faire le persécuteur de sa noblesse ni d’un clergé dont il restait le premier fidèle. Pour lui, le gallicanisme était schismatique. Encouragé par les ex-triumvirs, par les ministres et par une pétition du Conseil général du Département, il avait opposé son veto à ces décrets. Dès lors, aux yeux de la gauche, il se rangeait parmi les ennemis de la nation. Une vive hostilité renaissait contre lui dans les sociétés populaires, au Palais-Royal et dans les sections démocrates. Aux Jacobins même, certains, dont Carra, parlaient de déposer Louis, d’offrir la couronne à un prince anglais. L’éternel Laclos se remuait. Une fois de plus, l’orléanisme rallumait secrètement ses torches.
La situation des partis était encore plus claire. Ils s’opposaient en deux masses fortement séparées sur la question dont l’actualité et l’importance dominaient tout : guerre ou paix. Mais ce qui embrouillait les choses, c’est que cette question semblait réunir des hommes tout à fait ennemis d’autre part, et diviser des hommes du même bord. Les ex-triumvirs, Barnave, Duport, les Lameth, conseillers secrets de la Cour, étaient pour la paix, tout comme Billaud-Varenne et Robespierre, tandis que l’un de ses premiers amis, Brissot, Condorcet qui avait été si obstinément républicain, Carra, labbé Fauchet se rangeaient parmi les plus enragés partisans de la guerre. Chose non moins surprenante, le Roi lui aussi épousait l’idée de guerre. Il avait fort bien accueilli une délégation de l’Assemblée lui demandant d’adresser un avertissement sévère aux princes allemands qui favorisaient les préparatifs dirigés contre la France. Le 14 décembre, il se rendait en personne au Manège, annonçait qu’il avait sommé le prince électeur de Trêves de disperser les rassemblements d’émigrés sur son territoire. « Si, avant le 15 janvier, il n’avait pas fait cesser dans ses États tout attroupement et toutes dispositions hostiles de la part des Français réfugiés, il ne verrait plus en lui qu’un ennemi de la France. » Après le Roi, le très jeune ministre de la Guerre, Narbonne, déclara que trois armées de 15o ooo hommes au total étaient réunies. Le commandement de l’une serait confié au général La Fayette.
De l’autre côté de la rue, les Jacobins siégeaient, sous la présidence justement du farouche Isnard en qui Claude voyait un Marat girondin. La brève déclaration de Louis XVI fut rapportée au club par des membres empressés de la faire connaître. Les amis de Brissot applaudirent. Danton, haussant les épaules, se contenta de grommeler : « Je me défie du pouvoir exécutif. Il convient de sonder les intentions du gouvernement. »
Comme il en restait là, Claude se leva et, adressant un signe à Robespierre qui se disposait à intervenir, demanda la
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