Les autels de la peur
religieuses, des gens se tenaient debout, d’autres assis sur les marches des autels. Tous ceux-là ne verraient rien, du moins espéraient-ils entendre.
Lorsque Claude, retenu à son tribunal où tout était encore à organiser, arriva, Brissot occupait la haute chaire des orateurs. Il avait entamé son discours. Il parlait des émigrés et du prince électeur de Trêves. « Qui de vous, messieurs, demandait-il, ne s’indignait naguère qu’on laissât respirer si longtemps et ces rebelles et leur protecteur ? À présent que le pouvoir exécutif se décide enfin à une action vigoureuse, on propose ici de suspendre le glaive dont l’honneur et l’intérêt arment les mains de nos soldats. D’où vient ce renversement de l’opinion ? Les faits sont tels qu’ils l’étaient, tout demeure dans le même état. La Cour seule a changé et son changement inquiète. »
Le député-journaliste s’efforça longuement de montrer que rien ne justifiait ces inquiétudes. Au reste, la chose primordiale c’était de frapper sur la cause de toutes les défiances, de tous les maux de la patrie : sur Coblentz. « D’où vient, s’exclama-t-il, l’insolence de nos aristocrates ? Ils croient à l’armée de Coblentz. D’où vient l’opiniâtreté du fanatisme de nos réfractaires ? Ils invoquent, ils paient l’armée de Coblentz. D’où vient enfin l’ascendant de nos modérés, de nos intrigants qui veulent dominer et dominent partout ? De la peur que fait Coblentz. Voulez-vous détruire d’un seul coup aristocrates, mécontents, prêtres réfractaires ? Détruisez Coblentz. Coblentz détruit, tout est tranquille au-dehors, tout est tranquille au-dedans. Le chef de la nation sera forcé de régner par la Constitution, de ne diriger sa marche que d’après elle. » Quant au danger de remettre la conduite de la guerre aux ennemis mêmes de la Révolution, l’orateur trouvait qu’au contraire ce serait là une excellente épreuve. « Si le pouvoir exécutif est de mauvaise foi, il ne tardera pas à se trahir, et la patrie aura bientôt prononcé sur lui. »
Brissot conclut en déclarant que la prévention contre la guerre causerait le mal le plus funeste à la France et à la Société des Amis de la Constitution qui manquerait à ses principes en prêchant une lâche inertie. « Ne vous souillez point par ces inconséquences. Le pouvoir exécutif fait son devoir, vous devez le soutenir. Cela n’empêche pas de le surveiller. Et s’il vous trahit, le peuple est là, vous n’avez rien à craindre. Les grandes trahisons seront les bienvenues. »
Elles pouvaient l’être, en effet. Elles pouvaient amener l’occasion d’en finir avec un monarque trompeur et d’instituer la république. Mais d’abord Brissot vouait aux Gémonies les partisans d’une république. Et quel jeu dangereux ! Ce n’était pas ainsi qu’il fallait se délivrer de la royauté, estimait Claude. Ni lui ni son beau-frère ne joignirent leurs applaudissements à ceux qui saluaient la péroraison de Brissot. L’impression de son discours fut demandée. Robespierre s’y opposa, puis céda après une longue discussion. Alors le président donna la parole à Danton.
Les curieux accourus pour l’entendre furent bien déçus. Au lieu des dénonciations fulminantes auxquelles on s’attendait après sa sortie de l’avant-veille, il fit une harangue fort modérée. Il commença par rendre hommage à Brissot, « cet athlète vigoureux de la liberté, cet homme de qui nous attendons de grands services et qui ne trompera pas nos espérances ». Après quoi il s’en tint à démontrer qu’avant de songer à déclarer la guerre, il fallait épuiser tous les moyens de l’éviter. Ce n’était pas sottement pensé du tout, mais platement dit. Cette modération ne nourrissait pas une éloquence toute d’humeur, elle ne lui fournissait pas l’occasion de mettre en jeu ses grandes orgues. De sorte que Danton parut reculer et prendre une position équivoque, comme le remarqua Xavier Audouin, auprès duquel se trouvait Claude.
« Mais non, répondit-il. Danton fait entendre la voix de la sagesse. Ces propos, il les a déjà proférés devant moi, dans son cabinet, lorsque je l’ai revu pour la première fois.
— Cela ne signifie rien », observa Dubon, assis au-dessous d’eux entre Collot d’Herbois et Panis. C’est pourquoi il n’en dit pas plus, pour l’instant.
Danton quittait la tribune qu’il avait
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