Les autels de la peur
uniquement pour ma défense personnelle.
— La Reine a-t-elle pris beaucoup de part à votre situation ?
— Ni le Roi ni la Reine n’ont eu le moindre rapport avec nous, ce jour-là.
— Où vous êtes-vous retiré ensuite avec les autres grenadiers ?
— Je ne sais ce que mes camarades ont fait. Pour ma part, je suis resté chez un officier de service jusqu’à la nuit.
— Vous êtes très attaché au Roi et à la Reine, n’est-il pas vrai ?
— Ils sont mes bienfaiteurs, je leur suis dévoué à la vie à la mort. »
Collot écouta de nouveau ses assesseurs et vérifia que le greffier inscrivait bien au procès-verbal la dernière phrase du suspect. Sa fermeté semblait lui avoir gagné des sympathies parmi l’auditoire, mais elle ne désarmait pas le bureau, bien au contraire. L’interrogatoire se poursuivit sur les actes de Weber le 10 août. Il déclara n’avoir point combattu et prétendit s’être borné à conduire la famille royale au Manège. Collot enfin, consultant du regard le comité, déclara que le citoyen Weber serait maintenu en état d’arrestation. Les hommes à piques l’enfermèrent dans une petite chapelle grillée. Il était quatre heures après midi. Il attendit jusqu’à neuf heures. Alors on le ramena devant le comité, on lui fit lire et signer le procès-verbal de son interrogatoire. Quelques voix s’élevèrent disant qu’il fallait libérer le citoyen, qu’il n’avait pas agi contre le peuple ni la nation ; ce n’était pas un crime d’aimer ceux qui vous aiment et de leur rester fidèle. On n’écouta pas ces timides protestations. Weber fut reconduit au corps de garde pour y passer la nuit.
Le lendemain 19, à dix heures du matin, ses gardes le menèrent en fiacre à l’Hôtel de ville, où il comparut devant l’assemblée de la Commune. Marat trônait dans la tribune des journalistes, Manuel et Pétion siégeaient au bureau. Les gradins publics étaient pleins d’hommes et de femmes, parmi lesquelles d’excellentes bourgeoises, qui désertaient le Manège depuis le 10. Un des élus des Filles-Saint-Thomas vérifia le procès-verbal de l’interrogatoire subi la veille, à la section, par le suspect, puis énuméra les motifs de l’arrestation. On reprochait à Weber : 1 o d’être autrichien, 2 o être le frère de lait de la Reine, 3 o d’avoir figuré parmi les grenadiers des Filles-Saint-Thomas qui avaient tiré le sabre contre les fédérés, 4 o d’avoir escorté la famille royale, malgré l’ordre de M. Rœderer, jusqu’à l’Assemblée nationale, le 10 août, à neuf heures du matin. Ainsi donc on ne contestait pas là-dessus sa fausse déclaration, on ne savait pas qu’il avait combattu dans le jardin. Quelle chance ! L’Être suprême le protégeait.
« Nous avons, ajouta le commissaire, une déposition signée par le portier et le propriétaire de monsieur. La voici : Nous félicitons la section et le Comité de surveillance d’avoir pu se saisir d’un aristocrate aussi dangereux que le citoyen Weber ; nous prévenons et certifions qu’il n’y a pas un homme plus habile dans le maniement des armes à feu ; que de plus il a appris à tous les aristocrates ses amis à tirer au pistolet ; et qu’enfin il a fait venir de son pays et leur a distribué une quantité de ces armes.
— Cela est absolument faux ! s’exclama-t-il. Je demande la parole pour me justifier. »
Les clameurs des tribunes couvrirent sa voix. Quand Manuel eut rétabli un peu de silence, un canonnier du faubourg Saint-Antoine se leva en déclarant : « Je connais beaucoup ce citoyen, je l’ai vu entouré d’officiers suisses et de tous ceux de l’état-major de la garde nationale qui firent les insolents lorsque les aristocrates doublèrent la garde au Château. Je l’ai entendu haranguer, ce jour-là, et promettre formellement, le 9 août, de faire tomber dans une demi-heure les têtes de Pétion et de Manuel. » Un homme aux cheveux blancs, en uniforme national, confirma les dires du canonnier. Weber ne connaissait ni l’un ni l’autre de ces accusateurs. Il se défendit d’avoir jamais prononcé paroles semblables. Mais Pétion savait bien que, dans la nuit du 9, il y avait eu de mauvais desseins contre lui, au Château, chez les royalistes exaltés. L’accusation ne semblait donc pas sans fondement. « Il faut, dit-il, envoyer l’individu à Mounier-Dupré ».
Manuel acquiesça. Dans le style démagogique,
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