Les Aventures de Nigel
qu’il appelait sa prudence et sa modération au jeu. Sa seule excuse était qu’il n’avait jamais considéré sa conduite sous ce point de vue.
D’une autre part, l’orgueil et l’amour-propre lui suggéraient que Richie, avec toutes ses bonnes intentions n’était autre chose qu’un domestique qui s’en faisait accroire. – Richie, pensait-il, aurait voulu jouer le rôle de précepteur, au lieu de se borner à celui de laquais : par affection, comme il le disait, pour la personne de son maître, il s’arrogeait le droit de surveiller ma conduite et de critiquer mes actions ; Richie, enfin, me rendait ridicule par ses manières antiques, et par une présomption qui passait toutes les bornes.
Nigel venait à peine de se retirer de la croisée quand son nouvel hôte, entrant dans son appartement, lui présenta un papier bien plié, soigneusement entouré d’un écheveau de soie, et scellé avec précaution. Il lui avait été remis, dit-il, par une femme qui ne s’était pas arrêtée un instant. Ce qu’il y lut attaquait la même corde que Richie Moniplies venait déjà de toucher, car l’épître était conçue dans les termes suivans :
« À l’honorable lord Glenvarlock, de la part d’un ami inconnu.
« MILORD ;
« Vous donnez votre confiance à un faux ami, et vous perdez une bonne réputation. Un ami inconnu de Votre Seigneurie vous dira en deux mots ce que des flatteurs ne vous apprendraient pas en autant de jours qu’il en faudrait seulement pour achever votre ruine. Celui que vous regardez comme votre plus sincère ami, lord Dalgarno, vous trahit ; et, sous le masque de l’amitié, il ne cherche qu’à nuire à votre fortune, et à vous faire perdre la bonne renommée qui pourrait l’améliorer. Le bon accueil qu’il vous fait est plus dangereux que la froideur du prince ; de même qu’il est plus honteux de gagner à l’Ordinaire de Beaujeu que d’y perdre. Gardez-vous de l’un et de l’autre. Cet avis vous est donné par un ami véritable, quoiqu’il ne vous fasse pas connaître son nom.
« IGNOTO. »
Lord Glenvarloch réfléchit un instant, froissa le papier entre ses doigts, l’ouvrit de nouveau, le relut, réfléchit encore, et s’écria en le déchirant en mille pièces :
– Vile calomnie ! Mais je veillerai, j’observerai.
Les pensées se succédaient en foule dans son esprit ; mais lord Glenvarloch était si peu satisfait du résultat de ses réflexions, qu’il résolut de s’en distraire en allant faire un tour de promenade dans le parc ; et, prenant son manteau, il s’y rendit en effet.
CHAPITRE XV.
« De l’agile Snowball la tête grisonnait,
« Quand un malheureux lièvre à ses yeux se présente.
« – Qui ne connaît Snowball , dont la race vaillante
« Brille encore à Swaffham et même à Newmarket ?
« En vain pour fuir la mort qui l’attend, le pauvret
« A recours à la fuite, a recours à la ruse ;
« Snowball est trop malin pour qu’un lièvre l’abuse,
« Et le lièvre forcé meurt au coin d’un buisson.
« C’est ainsi qu’un beau jour un maudit mirmidon,
« Coudoyant les passans sans épargner les dames,
Se mit à ma poursuite au milieu de Saint-James,
« Parcourut sur mes pas la ville et les faubourgs,
« Et m’atteignit enfin malgré tous mes détours. »
ETC., ETC., ETC.
Le parc de Saint-James, quoique agrandi, planté de belles allées et embelli sur d’autres plans par Charles II, était déjà, sous le règne de son aïeul, une promenade publique fort agréable, fréquentée par la meilleure compagnie, qui y allait pour prendre de l’exercice ou pour passer le temps.
Lord Glenvarloch s’y rendit pour chasser de son esprit les réflexions désagréables qu’y avaient fait naître d’abord sa séparation d’avec son fidèle serviteur Richie Moniplies, d’une manière peu flatteuse soit pour son amour-propre, soit pour sa délicatesse, et ensuite la lettre anonyme qui semblait confirmer tout ce qui lui avait été dit dans la conversation rapportée à la fin du chapitre précédent.
Il y avait foule dans le parc lorsqu’il y arriva ; mais, la situation où se trouvait alors son esprit le portant à éviter toute société, il s’éloigna des allées les plus fréquentées, c’est-à-dire de celles qui étaient voisines de Westminster et de Whitehall, et s’avança vers le nord, ou, comme nous le dirions aujourd’hui, du côté de Piccadilly, croyant qu’il
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