Les Aventures de Nigel
Mais Votre Seigneurie sait en tirer parti. Vous avez la main sur eux. On a raconté, vendredi dernier, en présence du roi, un bon tour que vous avez joué à un jeune boutiquier à qui vous avez fait faire naufrage corps et biens, emportant ses spolia opima {77} , tout l’or qu’il avait sur lui, jusqu’aux boutons d’argent de son habit, en l’envoyant brouter l’herbe avec Nabuchodonosor, roi de Babylone. Cela fait honneur à Votre Seigneurie. On dit que le faquin s’est jeté dans la Tamise de désespoir ; mais il reste encore assez de ces manans : on perdit bien plus d’hommes à la bataille de Flodden.
– On vous a conté un tissu de mensonges en ce qui me concerne, sir Mungo, s’écria Nigel d’une voix haute et d’un ton sérieux.
– Rien n’est plus probable, répondit sir Mungo ; on ne fait que mentir à la cour. Ainsi donc le pauvre diable n’est pas noyé. C’est dommage ; mais je n’ai jamais cru cette partie de l’histoire : un marchand de Londres a plus de bon sens dans sa colère. Je parierais que le drôle est en ce moment, un balai à la main, cherchant dans les ruisseaux de la Cité quelques clous rouillés pour se faire une nouvelle pacotille. On dit qu’il a trois enfans : ils lui seront d’un grand secours pour l’aider à nettoyer le Strand ; et, s’il a du bonheur dans ce nouveau métier, Votre Seigneurie pourra le ruiner une seconde fois.
– Cela est plus qu’insupportable ! s’écria Nigel, ne sachant s’il devait se justifier avec indignation ou repousser avec dédain de son bras son cruel persécuteur ; mais un moment de réflexion le convainquit que l’un ou l’autre de ces partis ne ferait que donner un air de consistance et de vérité aux bruits calomnieux dont il commençait à voir qu’on voulait noircir sa réputation, même dans les cercles les plus élevés. Il prit donc la résolution plus sage de supporter l’impertinence étudiée de sir Mungo dans l’espoir d’apprendre, s’il était possible, de quelle source partaient des rapports si injurieux à son honneur.
Sir Mungo, suivant son usage, releva le dernier mot que venait de prononcer son compagnon, et l’interpréta à sa manière.
– Supportable, dit-il ; oui, véritablement, milord, on dit que vous avez un bonheur supportable, et que vous savez mettre à l’ordre cette insigne coquette, dame Fortune ; recevant ses faveurs, quand elle vous sourit, en jeune homme sage et prudent, et ne vous exposant jamais à ses rigueurs. C’est ce que j’appelle porter le bonheur dans son sac.
– Sir Mungo Malagrowther, dit lord Glenvarloch d’un ton sérieux en se tournant vers lui, ayez la bonté de m’entendre un instant.
– Aussi bien que je le pourrai, milord, aussi bien que je le pourrai, lui répéta sir Mungo en portant à son oreille un des doigts de sa main gauche : vous connaissez mon infirmité.
– Je tâcherai de parler très-distinctement, répliqua Nigel en s’armant de patience. Vous me prenez pour un joueur de profession, mais je vous donne ma parole que vous avez été mal informé ; je ne le suis nullement. J’espère que vous me donnerez une explication sur la source d’où vous avez tiré de si faux renseignemens.
– Je n’ai jamais ni entendu dire ni pensé que vous fussiez un grand joueur, milord, répondit sir Mungo, qui trouva impossible d’éviter d’entendre le peu de mots que Nigel venait de prononcer de la manière la plus distincte. Je vous le répète, je n’ai jamais entendu dire, ni dit, ni pensé que vous fussiez un grand joueur, un de ceux qu’on appelle de la première classe. Faites attention à ma distinction, milord : j’appelle un joueur celui qui joue avec des gens possédant la même science que lui, pouvant jouer le même jeu, et qui s’expose à la fortune, bonne ou mauvaise. J’appelle un grand joueur, ou joueur de la première classe, celui qui joue franchement gros jeu. Mais l’homme assez prudent et assez patient pour ne jamais risquer que de petites sommes, assez considérables, tout au plus, pour faire un trou à la bourse de l’apprenti d’un épicier ; celui qui, ayant la sienne mieux garnie, peut toujours attendre l’instant où la fortune le favorise, pour vider celle des autres, et qui quitte le jeu dès qu’elle lui devient contraire ; celui-là, – milord, je ne l’appelle ni joueur ni grand joueur, quel que soit le nom auquel il puisse avoir droit.
– Et vous voudriez me donner à
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