Les Aventures de Nigel
individu dont les traits étaient restés gravés, quoique imparfaitement, dans le souvenir de Nigel, comme nous l’avons déjà dit. Ayant peut-être encore un reste d’humeur, par suite de l’accident qu’il venait d’essuyer, il demanda à être entendu avant que l’immatriculation eût lieu.
– Cet homme, dit-il, qui a l’assurance de se proposer comme candidat pour obtenir les privilèges et immunités de cette honorable société, n’est autre chose, en propres termes, qu’un mendiant écossais. Nous avons déjà assez de ces sauterelles à Londres. Si nous admettons dans le sanctuaire ces chenilles, ces vers rongeurs, nous aurons bientôt toute l’Écosse sur les bras.
– Nous n’avons pas le droit, dit le duc Hildebrod, de lui demander s’il est Écossais, Français ou Anglais ; puisqu’il a honorablement payé sa bien-venue, il a droit à notre protection.
– Sur mon honneur ! très-souverain duc, répondit le ministre, je ne lui fais aucune question. – Son accent le trahit. – C’est un Galiléen, et l’argent qu’il a déposé est confisqué pour le punir de la témérité qu’il a eue de se présenter ici. Je vous demande donc, sire duc, de mettre la loi à exécution contre lui.
Ici le Templier se leva, et il allait interrompre la discussion de la cour, quand le duc l’assura gravement qu’il écouterait ce qu’il aurait à dire en faveur de son ami, quand le conseil aurait terminé sa délibération.
Le procureur se leva ensuite, et, après avoir annoncé qu’il allait parler de l’affaire sous un point de vue légal, il dit – qu’il était aisé de voir que le cas qui avait amené en Alsace l’individu dont il s’agissait n’était pas du ressort des lois civiles ; qu’il croyait fermement que c’était l’histoire dont ils avaient déjà entendu parler, relativement à un coup donné dans l’enceinte du parc ; que le sanctuaire ne pouvait servir de refuge au criminel dans un pareil cas ; que le vieux chef de l’Angleterre enverrait des balais qui nettoieraient les rues de l’Alsace depuis le Strand jusqu’à la Tamise ; enfin que la politique imposait à ses collègues le devoir de songer aux dangers qui menaceraient leur république s’ils donnaient asile à un étranger dans de telles circonstances.
Le capitaine, qui était resté assis avec un air d’impatience pendant que ces deux orateurs donnaient leur opinion, se leva alors tout à coup avec la violence d’un bouchon qui part d’une bouteille de bière mousseuse, et qui s’élance au plafond. Retroussant ensuite ses moustaches d’un air martial, et jetant un regard de mépris sur l’homme de loi et sur celui de l’Église, il prononça le discours qui suit :
– TRÈS-NOBLE DUC HILDEBROD,
Quand j’entends des conseillers de Votre Grâce faire des propositions si ignominieuses et si lâches ; quand je me rappelle les Huffs, les Muns, et les Tytire-tu, dont les avis dirigèrent, en pareilles occasions, les ancêtres et les prédécesseurs de Votre Grâce, je commence à croire que l’esprit de courage est éteint en Alsace comme dans le cœur de ma grand’mère. Il n’en est rien pourtant ; non, il n’en est rien, et je trouverai encore ici assez de bons garçons pour soutenir nos privilèges contre tous les balayeurs de Westminster. Et si la force l’emportait sur nous un moment, mort et furie ! n’avons-nous pas le temps de renvoyer ce brave homme, par eau, soit au jardin de Paris, soit à Bankside ? Et, s’il est de bonne roche, ne nous indemnisera-t-il pas de tout l’embarras qu’il pourrait nous donner ? Que les autres sociétés existent par la loi, je dis que la nôtre doit vivre en dépit d’elle, et qu’elle ne sera jamais plus florissante que lorsqu’elle sera en opposition avec les mandats et les ordonnances, avec les constables, les baillis, les sergens, les huissiers, leurs masses, leurs verges et leurs bâtons. –
Cette harangue fut accueillie par un murmure approbateur, et Lowestoffe, voulant profiter de ce mouvement favorable pour frapper un coup décisif, rappela au duc et à son conseil que la sécurité du royaume d’Alsace reposait en grande partie sur l’amitié de larépublique du Temple, qui, en fermant ses portes, pouvait priver les Alsaciens d’un moyen de communication très-important ; et que, suivant la manière dont ils se conduiraient en cette occasion, ils s’assureraient son crédit sur sa corporation, crédit qu’ils
Weitere Kostenlose Bücher