Les Aventures de Nigel
proscrits.
Fume tranquillement ta pipe
En dépit de tous les édits.
En été, dans notre domaine,
En veste tu peux demeurer ;
En hiver prends habit de laine,
Quand tu pourras t’en procurer.
Lorsque ton intérêt l’exige,
Tu peux jurer par ton honneur ;
Nul n’ira crier au prodige,
Si l’on te reconnaît menteur.
Si contre toi l’on tend des pièges,
Tu peux en dresser à ton tour.
Tels sont les nobles privilèges
Dont je t’investis en ce jour.
Cette homélie ayant été prononcée, une dispute s’éleva relativement au domicile qu’on devait assigner au nouveau frère. Une maxime des Alsaciens étant que le lait d’ânesse engraisse, il y avait toujours rivalité entre les habitans pour obtenir l’avantage de loger un nouveau membre de la société.
L’Hector qui avait parlé si chaudement en faveur de Nigel, dans un moment si critique, se déclara le champion, le chevalier d’une certaine Blowselinda ou Bonstrops, qui avait à louer une chambre naguère résidence momentanée de Slicing Dick de Paddington. Mais il avait été pendu depuis peu à Tyburn, et sa mort prématurée faisait que l’inconsolable demoiselle gémissait dans son veuvage solitaire, comme une tourterelle plaintive.
Mais le crédit du capitaine ne put résister à celui du vieillard au capuchon de serge, qui malgré sa décrépitude passait pour savoir plumer un pigeon aussi bien et même mieux que qui que ce fût en Alsace.
Ce personnage vénérable était un usurier nommé Trapbois, jouissant d’une certaine célébrité dans son état, et qui, tout récemment, avait rendu un service important à l’État en avançant un subside indispensable pour renouveler l’approvisionnement de la cave du duc, le marchand de vin du Vintry ne se souciant pas de faire affaire avec un si grand homme à d’autres conditions qu’argent comptant.
Quand donc ce digne vieillard se fut levé, et, dans un discours interrompu par de nombreux accès de toux, eut rappelé au duc qu’il avait un pauvre appartement à louer, toutes les autres réclamations furent mises de côté, et Trapbois fut désigné comme l’hôte futur de Nigel.
Cet arrangement ne fut pas plus tôt terminé que lord Glenvarloch témoigna à Lowestoffe son impatience de quitter une compagnie si peu faite pour lui, et il fit ses adieux avec une hâte et une insouciance qui auraient été prises en mauvaise part si le quartaut de vin du Rhin ne fût arrivé à l’instant même où il sortait de l’appartement.
Le jeune étudiant accompagna son ami chez le vieil usurier. De même qu’un grand nombre de ses compagnons, il ne connaissait que trop bien la rue. Chemin faisant, il assura lord Glenvarloch qu’il allait être logé dans la seule maison de Whitefriars où il régnât un peu de propreté ; ce qui était dû aux soins de la fille unique de l’usurier, demoiselle qui avait passé la première jeunesse, laide comme le péché mortel, mais assez riche, à coup sûr, pour tenter un puritain quand le diable se serait emparé du vieux père comme d’une proie qui lui était due.
Lowestoffe finissait à peine de donner ces détails à son ami, quand ils arrivèrent chez Trapbois. Il frappa à la porte, et ce qu’il venait de dire se trouva confirmé par la physionomie revêche et désagréable de la femme qui vint l’ouvrir. Elle écouta d’un air mécontent et peu gracieux l’annonce que lui fit le jeune étudiant que son compagnon venait loger chez son père, murmura quelque chose sur l’embarras qu’un locataire devait lui occasioner, et finit pourtant par conduire l’étranger dans l’appartement qu’il devait occuper. Nigel le trouva beaucoup mieux qu’il n’aurait osé l’espérer ; et s’il n’était pas tout-à-fait aussi propre que celui de John Christie, il était du moins beaucoup plus grand.
Lowestoffe, ayant vu son ami en possession de son nouveau domicile, et lui ayant fait venir une carte contenant le prix des alimens qu’il pourrait se procurer chez un traiteur du voisinage, prit congé de lui en lui offrant ses services pour faire transporter dans sa nouvelle habitation les effets qu’il avait laissés dans son ancienne demeure. Nigel le pria de lui envoyer différens objets ; et ils étaient en si petit nombre, que l’étudiant ne put s’empêcher de lui dire qu’il ne paraissait pas avoir dessein de jouir long-temps de ses nouveaux privilèges.
– Ils sont trop peu conformes à mes goûts, à mes
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