Les Aventures de Nigel
ne jouait pas un grand rôle dans la politique de l’Europe ; mais, en compensation, il était prodigieusement affairé lorsqu’il pouvait trouver une occasion favorable de se mêler des affaires particulières de ses chers sujets ; et l’approche du mariage de lord Glenvarloch était pour lui une chose de la plus haute importance. Il avait été frappé, autant du moins qu’il pouvait l’être, lui qui n’était pas très-susceptible de ces sortes d’émotions, de la beauté et de l’embarras de la jolie Marguerite Ramsay, dès la première fois qu’il l’avait vue ; et il se vantait beaucoup de la pénétration qu’il avait montrée en découvrant son déguisement, et en démêlant tous les fils de cette intrigue.
Pendant que lord Glenvarloch faisait sa cour à sa jeune maîtresse, Jacques, pendant plusieurs semaines, se fatigua les yeux au point, à ce qu’il assura lui-même, de mettre presque hors de service une des meilleures paires de lunettes sorties de la boutique du père de Marguerite, à force de fouiller dans de vieux livres et de vieux parchemins pour prouver que la jeune fiancée descendait d’une famille illustre, et détruire ainsi la seule objection que l’envie pût faire contre ce mariage. Ses efforts furent couronnés du plus heureux succès ; du moins il se le persuada, car un jour que sir Mungo Malagrowther déplorait amèrement devant lui que Marguerite Ramsay ne fût pas noble, le roi l’interrompit brusquement, et lui dit : – Réservez vos regrets pour une meilleure occasion, sir Mungo ; sur mon ame royale ! je soutiens que David Ramsay, son père, est noble de neuf quartiers ; car son bisaïeul descendait de l’antique et belliqueuse famille des Dalwolsey, les plus braves chevaliers qui aient jamais tiré l’épée pour leur roi et pour leur pays. N’avez-vous jamais entendu parler de sir William Ramsay de Dalwolsey ? celui dont John Fordoun dit : – Il était bellicosissimus, nobilissimus. Son château subsiste encore, pour preuve, à trois milles à peu près de Dalkeith, et à un mille de Bannockrigg. David Ramsay sort de cette souche illustre, et il n’a point dérogé par l’état qu’il exerce ; il se distingue autant que ses ancêtres. Si les anciens chevaliers faisaient des trous avec leurs épées dans les cuirasses de leurs ennemis, hé bien ! il fait des entailles dans les rouages de ses montres. J’espère, monsieur, qu’il est aussi honorable de donner des yeux aux aveugles que de les faire sauter de la tête de ceux qui voient, et de nous montrer à apprécier le temps qui fuit, que de le passer à boire, à crier, à rompre des lances, ou à d’autres occupations aussi peu chrétiennes. Et il faut que vous sachiez que David Ramsay n’est pas un simple ouvrier, mais bien un artiste libéral, dont les merveilles vont presque jusqu’à créer un être vivant ; car ne peut-on pas dire d’une montre ce que Claudien dit de la sphère d’Archimède de Syracuse :
Inclusus variis famulatur spiritus astris,
Et vivum certis motibus urget opus {143} .
– Pourquoi, dit sir Mungo, Votre Majesté ne donnerait-elle pas au vieux David des armoiries aussi-bien qu’une généalogie.
– C’est ce que j’ai déjà fait, sir Mungo, dit le roi, et il me semble que nous qui sommes la source d’où découlent tous les honneurs de ce monde, nous sommes libre d’en accorder à une personne qui nous touche de si près, sans offenser le chevalier du château de Girnigo. Nous avons déjà consulté les doctes membres du collège des hérauts d’armes, et nous nous proposons d’ajouter aux armoiries de ses aïeux une roue de montre qui aura le Temps et l’Éternité pour supports, dès que le premier héraut d’armes aura pu décider de quelle manière on doit représenter l’Éternité.
– Je la ferais deux fois aussi grande que le Temps {144} , dit Archie Armstrong, le fou de la cour, qui se trouvait alors présent.
– Taisez-vous, ou vous serez fouetté, lui dit le roi en réponse à cette indication. Et vous, mes fidèles sujets d’Angleterre, vous pouvez faire votre profit de ce que nous avons dit, et ne plus tant vous presser de vous moquer de nos généalogies écossaises, quoiqu’elles remontent un peu haut, et qu’elles soient assez difficiles à établir. Vous voyez qu’un homme de bonne famille peut, pendant quelque temps, laisser de côté sa noblesse, et cependant savoir où la retrouver s’il en a besoin. Un marchand
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