Les Aventures de Nigel
réfléchir sur ce qu’il avait à faire. Tandis que l’œil de cet homme outragé se détournait lentement des restes inanimés du séducteur pour se porter sur la complice et la victime de son crime, prosternée à ses pieds, qu’elle embrassait sans oser lever les yeux, ses traits, naturellement grossiers et sombres, prenaient une expression de dignité. Il en imposa aux deux Templiers, et repoussa les empressemens officieux de Richie Moniplies, qui d’abord s’était occupé de lui dire son opinion. – Ce n’est pas devant moi qu’il faut te prosterner, dit-il, mais devant ce Dieu que tes offenses ont blessé plus que ne pouvait l’être un vermisseau tel que moi. Combien de fois ne t’ai-je pas dit, lorsque tu étais heureuse et gaie, que l’orgueil précède la destruction, et que la présomption conduit à une chute ? La vanité enfanta l’erreur, l’erreur le crime, et le crime a enfanté la mort, sa compagne originelle. Il t’a fallu abjurer le devoir, la pudeur et l’amour honnête, pour te sacrifier à un homme pervers et corrompu ; et maintenant, comme un ver qu’on foule aux pieds, te voilà te lamentant auprès du corps inanimé de ton amant ! Tu m’as outragé de la manière la plus cruelle, tu m’as déshonoré parmi mes amis, tu as perdu l’honneur de ma maison, et éloigné la paix de mon foyer ; mais tu fus mon premier et unique amour, et je ne te verrai pas malheureuse et abandonnée s’il est en mon pouvoir de l’empêcher. – Messieurs, je vous fais autant de remerciemens qu’un cœur brisé peut en offrir. Richie, recommandez-moi à votre honorable maître. – J’ai ajouté du fiel à l’amertume de son affliction ; mais j’étais abusé. – Levez-vous, femme, et suivez-moi.
Il la releva par le bras, tandis qu’avec des yeux baignés de pleurs, en poussant des sanglots, Nelly s’efforçait d’exprimer son repentir. Elle se couvrit le visage de ses mains, se laissa conduire par son époux, et ne se retourna que lorsqu’ils arrivèrent au tournant d’une fougeraie qui cachait le lieu qu’ils avaient quitté. Jetant alors avec effroi un regard égaré vers le corps de Dalgarno, elle proféra un cri, et, s’attachant fortement au bras de son mari, elle s’écria avec horreur : Sauvez-moi ! – Sauvez-moi ! – ils l’ont assassiné !
Lowestoffe était véritablement ému de tout ce qu’il voyait ; mais, comme il voulait passer pour un petit-maître du bon ton, il rougit d’une émotion si peu à la mode, et fit violence à ses sentimens pour s’écrier : – Eh ! qu’ils s’en aillent ! Le mari sensible, crédule, indulgent ; l’épouse libérale et accommodante. Oh ! qu’un vrai mari de Londres est un être généreux ! il porte des cornes ; mais, comme un bœuf apprivoisé, il ne donne point de coups. J’aurais aimé à la voir lorsqu’elle a pris ce masque et ce chapeau de castor en place de son bonnet pointu et de sa mentonnière. Nous irons les voir au quai Saint-Paul, cousin ; ce sera une connaissance agréable.
– Vous auriez mieux fait de chercher à attraper le rusé voleur de Lutin, dit Richie Moniplies ; car, ma foi, il s’est sauvé avec les bagages de son maître et l’argent.
Quelques gardes et plusieurs autres personnes arrivèrent alors à l’endroit, et se mirent à la poursuite de Lutin, mais inutilement. Les étudians leur confièrent la garde des corps étendus sur la poussière ; et, après avoir fait une enquête dans les formes, ils retournèrent à Londres, accompagnés de Richie et de Jenkin Vincent : ils y reçurent l’accueil que méritait leur courage. Vincent, auquel on devait la destruction de cette bande de brigands, obtint aisément le pardon de ses erreurs ; et ce qui, dans toute autre circonstance, eût pu diminuer le mérite de cette bonne œuvre ne fit au contraire qu’y ajouter dans cette occasion ; c’est qu’ils étaient arrivés trop tard pour sauver lord Dalgarno.
George Heriot, qui soupçonnait la vérité, voulant tirer Vincent d’embarras, demanda à son maître et en obtint la permission d’envoyer ce pauvre diable à Paris pour une affaire importante. Il nous est impossible de l’y suivre ; mais tout nous porte à croire que la fortune l’y favorisa, et que lorsque le vieux David Ramsay se retira du commerce par suite du mariage de sa fille, Vincent lui succéda, et prit pour associé son compagnon apprenti. Ce qui nous confirme dans cette conjecture, c’est que le
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