Les Aventures de Nigel
survenu un accident qui les avait retardés quelque temps sur la route. En traversant une des clairières de la forêt, ils avaient trouvé un homme démonté et assis sous un arbre, gémissant avec tant de désespoir que Lowestoffe n’avait pu s’empêcher de lui demander s’il était blessé. Il répondit qu’il était un malheureux, poursuivant sa femme enlevée par un scélérat ; et, lorsqu’il leva la tête, les yeux de Richie rencontrèrent, à son grand étonnement, le visage de John Christie.
– Pour l’amour de Dieu, venez à mon aide, maître Moniplies ! dit-il, j’ai appris que ma femme n’était qu’à quelques milles plus loin avec ce noir scélérat de lord Dalgarno.
– Emmenons-le avec nous à quelque prix que ce soit, dit Lowestoffe ; un second Orphée cherchant son Eurydice ! – Emmenons-le, – nous sauverons la bourse de lord Dalgarno, et nous le débarrasserons de sa maîtresse. – Emmenons-le avec nous, ne fût-ce que pour jeter de la variété dans l’aventure. D’ailleurs, je garde rancune à Sa Seigneurie pour m’avoir escroqué mon argent au jeu. – Nous avons dix minutes d’avance.
Mais il est dangereux de calculer trop juste quand il s’agit de la vie ou de la mort. Selon toute probabilité, les deux ou trois minutes qu’ils avaient perdues en montant John-Christie sur la croupe d’un de leurs chevaux auraient sauvé la vie de lord Dalgarno : c’est ainsi que son amour criminel devint la cause indirecte de sa mort ; c’est ainsi que nos vices chéris deviennent des verges pour nous châtier {141} .
Les cavaliers arrivèrent sur le champ de bataille au grand galop, au moment où le coup venait d’être tiré ; déjà Colepepper s’était mis à détacher à la hâte le porte-manteau de la selle du page, lorsque Richie, qui avait ses raisons pour l’attaquer personnellement, se précipita sur lui avec une telle violence, qu’il le renversa ; au même instant, son cheval broncha et le démonta lui-même, car l’intrépide Richie n’était pas très-habile écuyer. Néanmoins il se releva aussitôt, et lutta contre le scélérat avec une telle ardeur, que, quoique ce fût un homme vigoureux et un lâche réduit au désespoir, il le terrassa, lui arracha un long couteau, et, après lui avoir porté un coup désespéré avec cette arme, il se redressa sur ses pieds ; et, comme son ennemi blessé s’efforçait de suivre son exemple, il lui déchargea un grand coup sur la tête avec la crosse d’un mousqueton ; – ce dernier coup fut fatal.
– Bravo, Richie ! s’écria Lowestoffe, qui lui-même ayant croisé l’épée avec l’un des bandits l’avait mis en fuite. Bravo ! là gît le crime assommé comme un bœuf, et l’iniquité avec la gorge coupée comme un veau.
– Je ne sais pourquoi vous me raillez sur ma victoire, maître Lowestoffe, répondit Richie avec un grand sang-froid ; je vous assure que la boucherie est une excellente école pour s’instruire à cette besogne.
En ce moment, l’autre Templier leur criait à haute voix : – Si vous êtes des hommes, venez ici : – voici lord Dalgarno qu’ils ont assassiné.
Lowestoffe et Richie coururent à l’endroit désigné ; et le page, se voyant oublié de tous, saisit cette occasion pour s’échapper dans une direction différente ; et, depuis ce jour, on n’entendit plus parler ni de lui, ni de la somme considérable dont son cheval était chargé.
Le troisième brigand n’avait pas attendu l’attaque du Templier et de Jin Vin, qui avait fait descendre le vieux Christie afin de pouvoir agir plus lestement. Tous contemplaient avec horreur le corps sanglant du jeune lord et le désespoir affreux de la femme : elle s’arrachait les cheveux et poussait des cris déchirans, lorsque tout à coup sa douleur fut suspendue, ou plutôt prit une nouvelle direction par l’apparition soudaine et inattendue de son mari, qui lui dit d’un ton d’accord avec son regard froid et sévère : – Malheureuse femme ! tu t’affliges de la perte de ton amant. Alors, regardant le corps sanglant de celui dont il avait reçu une injure si grave, il répéta les mots solennels de l’Écriture : La vengeance m’appartient, dit le Seigneur, et c’est moi qui l’accomplirai. Moi que tu as offensé, je serai le premier à te rendre les devoirs que la décence doit aux morts.
À ces mots, il couvrit le corps de son manteau, et le contemplant pendant quelques instans, il semblait
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