Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
de ces dames, celle au rire un peu factice, après avoir jeté des regards dédaigneux sur le décor et le « buffet », s’est justement approchée de la fenêtre de ce modeste appartement qui donne sur un petit balcon. L’aube pointe dans le ciel. Elle ouvre la fenêtre et s’avance posant les mains sur la rambarde.
— Venez vite ! dit-elle soudain aux trois autres, ça commence.
Et l’on s’aperçoit à cet instant que ces deux couples de fêtards fatigués par une nuit qu’il leur a fallu tuer, après un dîner bien arrosé, une pièce de théâtre qu’ils ont jugée à peine amusante et un peu vulgaire, puis une soupe à l’oignon tardive et quelques verres dans un cabaret où le French Cancan a presque fait rougir ces dames tout en émoustillant ces messieurs, ont en fait loué cet appartement pour regarder en bas… tout simplement… Regarder d’en haut, sans être dérangé par le vulgaire populo, le coin du boulevard Arago et de la prison de la Santé. Pour assister au spectacle de la lame acérée de la bascule à charlot qui va s’abattre sur la nuque de ce pauvre Professeur Espérandieu. Rien n’est trop cher pour les gens qui aiment se repaître de la souffrance et du sang des autres.
Chapitre 27
… car en bas, l’heure fatidique est arrivée…
L’ aube est la promesse d’un nouveau jour, sauf pour les condamnés à mort.
Et c’est donc au « spectacle » d’une exécution capitale que nos quatre bourgeois si spirituels sont venus assister, du haut du cinquième étage d’un immeuble dominant les hauts murs et les bâtiments de la prison de la Santé, presque à l’angle de la rue de la Santé et du boulevard Arago. C’est là que depuis 1899, sont rangés les « bois de justice », ceux qui tiennent « le couteau ». Mais il n’y a pas eu d’exécution capitale à Paris entre cette date et 1909.
Une bande de curieux malsains, mais moins fortunée que nos quatre bourgeois, est venue s’agglutiner sur les trottoirs en face de la guillotine, contenue par une rangée de gendarmes.
Et ça papote ferme. Ça rigole. Ça attend le sang. Ça se moque. « Espérandieu, avec un nom comme ça, y croit qu’y va pas aller en enfer, peut-être ? » Ça se raconte des anecdotes sur d’anciennes exécutions, sur la vie secrète du « faucheur » et de ses aides, sur le « Pétrodactyle », sur le Président « qui y’était contre la peine de mort et pis maintenant qui y’est bien obligé d’y être pour… »
Et puis le silence se fait soudain, car les portes de la Santé se sont ouvertes et le Professeur Espérandieu s’avance, solennellement accompagné par le cortège des officiels. On le regarde. Les murmures de la petite foule reprennent. On détaille sa maigre silhouette. On lui prête un regard « de dément », à ce savant assez fou pour s’amuser avec un « monstre sorti du fond des âges »… On chuchote à qui mieux mieux. Le maître d’œuvre, un remplaçant de Deibler, souffrant d’une grippe, vérifie que le condamné a bien les mains attachées et que la lame de son engin de mort est bien tranchante.
Espérandieu est épuisé, résigné, absent. On le pousse doucement vers l’estrade. Il monte les quelques marches et le premier rayon de soleil vient caresser son visage. Il s’arrête, sourit tristement, et lève la tête en fermant les yeux comme pour mieux profiter de cette dernière caresse.
« Le couteau tombe, la tête est tranchée à la vitesse du regard, l’homme n’est plus. À peine sent-il un rapide souffle d’air frais sur la nuque. »
De vieilles lectures reviennent à l’esprit d’Espérandieu. Le docteur Joseph Ignace Guillotin, concepteur de cette machine à tuer les hommes, considérait cette méthode de décapitation mécanique comme plus humaine que la pendaison ou la décapitation à l’aide d’une hache. En effet, l’agonie des pendus pouvait être longue, et certaines décapitations à la hache étaient ratées, demandant plusieurs coups. Espérandieu se dit que ça lui fait une belle jambe, tout ça… Il retrouve le sourire. Un bien étrange sourire, le dernier sans doute. Ces absurdités semblent lui redonner la force d’affronter l’horreur qui l’attend.
Il regarde la lame oblique. Mais pourquoi ces détails idiots remontent-ils dans son cerveau juste à cette minute fatale ? C’est comme s’il voyait passer les pages de quelques ouvrages qu’il a dû lire, il y a très
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