Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
longtemps. Oui, le premier projet de guillotine avait une lame horizontale. Et c’est le docteur Antoine Louis, célèbre chirurgien de l’époque, qui préconisa, dans un rapport remis le 7 mars 1792, la mise au point d’une machine à lame oblique, seul moyen de donner la mort à tous les condamnés avec rapidité et sûreté, ce qui n’était pas possible avec une lame horizontale.
D’autres images lui viennent, comme des petits morceaux de ces films du cinématographe, collés les uns aux autres… des visions qui tourbillonnent dans sa tête…
Louis XVI en personne, roi dont on connaît la passion pour la mécanique, apparaît, visitant incognito l’atelier où l’on fabrique l’engin qui va le tuer quelques temps plus tard. Le bourreau officiel de la capitale, Charles-Henri Sanson le repère, mais ne dit rien. C’est sans doute pour cela qu’un des nombreux surnoms de cet engin de mort était « La Louisette », se dit Espérandieu. Puis il se rappelle aussi que le constructeur de la première guillotine fut un facteur de clavecins Prussien établi à Paris, nommé Tobias Schmidt, ami personnel de ce Charles-Henri Sanson issu d’une longue lignée de « faucheurs ». Schmidt fabriqua la machine pour la somme de 812 livres. Décidément, les Prussiens auront fait bien du mal à la France, se dit Espérandieu.
Le vieux savant ne comprend pas ce qui lui arrive. Est-il en train de devenir fou ? Est-ce la proximité de la mort qui lui détraque la cervelle ?
Il lui semble maintenant entendre des voix qui récitent, comme si elles commentaient la lecture d’un livre ou d’un journal, tandis que d’autres images fugitives lui traversent l’esprit…
Jamais le docteur Joseph Ignace Guillotin n’assista à la moindre exécution capitale, chuchotent les voix, et jusqu’à sa mort en 1814, il déplorait en petit comité que son nom soit associé à la machine dont il n’avait fait que préconiser l’étude et l’usage. Enfin, contrairement à ce qui a été maintes fois dit et écrit, le docteur Joseph Ignace Guillotin n’a jamais été victime de « sa » machine, mais d’un anthrax à l’épaule gauche, et ceci bien après la Révolution.
Espérandieu préférerait un anthrax, là, si on lui laissait le choix. Les voix cessent, le tourbillon d’images aussi. Cette folie est-elle l’expression de sa mémoire vacillante ? Comme si cet envahissement de détails sur l’échafaud était la dernière expression de son esprit scientifique ? Plus jamais il ne se servira de tout le savoir accumulé depuis des dizaines d’années. Son immense érudition va disparaître avec lui…
Le silence tombe sur ce coin de rue. Et avec ce silence, une sorte de sérénité terrible envahit le vieil Espérandieu. Il se tourne et constate l’absence de Deibler, le bourreau officiel. Mais quelle importance ? Pourquoi s’attache-t-il à tous ces détails absurdes ? Dans quelques secondes, il sera mort et peut-être, peut-être que son esprit lui survivra, dans les limbes, quelque part…
Le représentant du Garde des Sceaux, un obscur fonctionnaire qui supervise la procédure avec le directeur de la Maison d’arrêt de la Santé, fait un signe au bourreau remplaçant qui s’avance et place un sac noir sur la tête du condamné. Le nouveau bourreau a le sale boulot, et la sale tête qui va avec.
Un silence de mort, c’est malheureusement le cas de le dire, s’abat sur ce coin de rue illuminé d’un rayon de soleil. Le panier est prêt à recevoir le corps. La bassine en zinc est prête à recevoir la tête d’Espérandieu. Les aides du bourreau se préparent à ligoter correctement le pauvre Professeur. L’un d’eux, surnommé « le photographe », vérifie le trou à glissière où l’on doit introduire la tête du condamné en regardant dedans, d’où son surnom.
L’instant fatidique est arrivé. La foule de badauds cesse enfin ses murmures et frissonne d’avance du plaisir malsain qu’elle est venue chercher. Nos quatre bourgeois trinquent au balcon et l’on entend distinctement le cliquetis de leurs verres dans le silence.
Mais soudain, une ombre vient masquer le soleil à peine levé. Le bourreau se retourne et a juste le temps de pousser un cri.
Tout va extrêmement vite.
Adèle et son ptérodactyle piquent sur l’estrade, presque invisibles en contre-jour. D’un seul geste, l’animal saisit les épaules d’Espérandieu dans ses griffes et l’arrache de
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