Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
et susurraient : tu nous
congédies ? À partir de cet instant, elles ne seraient plus jamais avec
moi, et pour toujours. À partir de cet instant, je ne pourrais plus jamais
faire ça ou ça, pour toujours. Oh quel pouvoir de suggestion. Ça et ça …
disaient-elles. Quel pouvoir de suggestion, mon Dieu ! Ton amour doit
l’éviter à l’âme de ton esclave. Elles suggéraient tant d’ordures, tant de
hontes. Je ne les entendais déjà presque plus. Il ne s’agissait pas decontradictions frontales mais comme des chuchotements dans mon dos,
et quand je m’éloignais, des picotements pour me faire regarder en
arrière. Elles me retardaient. J’hésitais alors à m’enfuir, à me débarrasser d’elles pour répondre à l’appel. Mais une violente addiction me
demandait ce que je ferais sans elles.
27.
Voix de plus en plus faible.
Dans la direction où j’avais tourné mon visage, où je tremblais
d’avancer, apparaissait la chaste dignité de l’abstinence, sereine, heureuse, sans débauche, séduction honnête, qui m’invitait sans hésiter et
tendait vers moi, pour m’accueillir et m’embrasser, des mains fidèles
pleines d’exemples édifiants. Il y avait tant de filles et de garçons,
beaucoup de jeunes, des gens de tous âges, d’honorables veuves, et de
vieilles femmes toujours vierges. Et pour tous, l’abstinence n’était pas
quelque chose de stérile mais la mère féconde des fils heureux de son
mari – toi Seigneur. Elle se moquait de moi et m’exhortait. On aurait
dit qu’elle me demandait si je serais capable d’imiter ces hommes et
ces femmes. Mais penses-tu, disait-elle, que ces hommes et ces
femmes y arriveraient eux-mêmes sans l’aide du Seigneur, leur Dieu ?
C’est le Seigneur, leur Dieu, qui m’a donnée à eux. Est-ce que tu t’es
demandé pourquoi tu restes et ne restes pas avec toi-même ? N’aie pas
peur. Jette-toi dans ses bras. Il ne cherchera pas à te faire tomber en
s’esquivant. Jette-toi vers lui. Sois rassuré, il t’accueillera et te guérira.
J’avais affreusement honte de ces riens et de leurs murmures que
j’entendais toujours. J’hésitais. Suspendu. Elle reprenait. On aurait
dit qu’elle disait : deviens sourd à ces saletés de ton corps mortifère,
sur la terre. Il te raconte des plaisirs mais rien de comparable à la loi
du seigneur ton Dieu. Ce débat dans mon cœur me déchirait d’avec
moi-même.
Alypius, immobile à mes côtés, ne pouvait qu’attendre en silence le
dénouement de cette étrange excitation.
28.
Du fond le plus secret de moi-même, mes lourdes pensées ont
ramené toute la misère possible qu’elles avaient accumulée sous lesregards de mon cœur. Un énorme ouragan s’est levé, provoquant une
énorme pluie de larmes. Je me suis écarté d’Alypius pour laisser libre
cours au fracas des larmes. J’avais besoin d’être seul pour le travail des
larmes. Et je me suis éloigné pour ne pas être gêné par sa présence. Il
comprit dans quel état j’étais. Oui, j’avais dû dire, je crois, je ne sais
quoi d’une voix nouée de pleurs. Je me suis levé. Il est resté assis. Complètement abasourdi.
Je suis allé me jeter, je ne sais comment, sous un figuier. Ne contrôlant plus mes larmes. Elles ont débordé et jailli de mes yeux. Tu as reçu
ce sacrifice, et j’ai parlé, parlé, pas exactement en ces termes, mais j’ai
dit quelque chose comme : et toi, Seigneur, quand ? quand, Seigneur, la
fin de ta colère ? ne te rappelle pas nos crimes anciens. Car je sentais
bien que c’est eux qui me retenaient. Je jetais des cris malheureux.
Encore combien de temps ? encore combien de temps ? demain !
demain ! pourquoi pas tout de suite ? pourquoi ne pas en finir sur
l’heure avec toutes mes saloperies ?
29.
Mes mots, mes pleurs, dans la terrible amertume de mon cœur brisé.
J’entends alors une voix depuis la maison voisine. Un chant répétitif
et récurrent. Une voix d’enfant, garçon ou fille, je ne sais plus. Attrape
et lis. Attrape et lis. Aussitôt mon visage a changé. Perplexe. Était-ce un
rengaine quelconque que les enfants avaient l’habitude de chanter en
jouant ? Non. Ça ne me disait rien. J’ai refoulé mes larmes et je me suis
redressé. Ne doutant pas qu’il s’agissait d’un ordre divin qui me demandait d’ouvrir le codex et de lire le premier chapitre sur lequel je tomberais. J’avais entendu dire qu’Antoine, au hasard de la lecture de l’évangile, en avait
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