Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
j’étais allé jusqu’à te demander la chasteté. Fais-moi, j’ai dit,
chaste et abstinent, mais attends un peu… Oui, j’avais peur d’être trop
vite entendu et trop vite guéri de la maladie du désir. Je préférais assouvir mon désir plutôt que m’abstenir. Je me suis engagé sur les chemins
sinueux d’une superstition sacrilège. Je n’y trouvais aucune certitude
mais je la mettais, pour ainsi dire, au-dessus de toutes les autres que,
sans étudier, je me contentais de critiquer violemment.
18.
Je pensais que la raison pour laquelle je tardais de jour en jour à
renoncer à l’espoir du monde et à ne suivre que toi, c’était de ne voir
apparaître rien de certain où diriger ma course. Mais ce jour-là, j’étais
nu devant moi. Ma conscience me faisait des reproches. Où est ta
parole ? Tu disais, n’est-ce pas, que tu ne pouvais te débarrasser du
poids de la vanité en raison d’une vérité incertaine. Mais la certitude est
là, aujourd’hui, et tu suffoques toujours. Sur des épaules plus libres que
les tiennes poussent des ailes. Rien ne sert de s’user à chercher, à passer
dix ans et plus à une telle méditation.
J’étais déchiré intérieurement. Troublé par une horrible et terrible
honte quand Ponticianus parlait. Quand il a fini de parler et conclu ce
qui l’avait amené, il disparut et moi je disparus en moi-même. Je me suis
accusé de tout. J’ai fouetté mon âme pour l’obliger à me suivre dans
mes efforts derrière toi. Elle se cabrait. Se récusait sans s’excuser. Tous
les arguments épuisés et vaincus. Ne restait qu’un tremblement muet.
Elle craignait comme la mort d’être retirée des flots de l’habitude où
elle pourrissait mortellement.
19.
Ma maison intérieure livrait un immense combat que j’avais violemment provoqué contre mon âme dans la chambre de mon cœur. Je me
jette sur Alypius, le visage troublé autant que mon esprit, et je crie :
pourquoi supporter ça ? Quoi ? Tu as bien entendu ? Des analphabètesdébarquent et le ciel est à eux ! Et nous, avec notre science sans cœur,
eh bien nous roulons dans la chair et le sang. Et tout ça parce qu’ils
nous ont devancés, nous devrions avoir honte de les suivre ? Et pas de
honte à ne pas au moins essayer de les suivre ? J’ai dit je ne sais quoi
dans ce genre-là. Et, dans ma fièvre, je l’ai quitté. Muet d’effroi au son
bizarre de ma voix. Ses yeux braqués sur moi. Mon front, mes joues,
mes yeux, mon teint, l’intonation de ma voix, en disaient plus sur mon
âme que mes mots.
À l’endroit où nous avions trouvé l’hospitalité, il y avait un petit jardin. À notre disposition comme toute la maison. (Notre hôte, le maître
des lieux, n’y habitait pas.) Et c’est là que dans mon agitation je m’étais
réfugié. Où personne ne s’opposerait à la lutte enflammée contre moi-même, jusqu’à son dénouement que tu connaissais et moi pas. Ma folie
était ma libération. Ma mort ma survie. Je savais le mal que j’étais mais
j’ignorais le bien que je serais dans peu de temps.
Je me retire donc au jardin, Alypius sur mes pas. Sa présence, en réalité, ne gênait pas ma retraite. Comment aurait-il pu m’abandonner
dans cet état ? Nous allons nous asseoir le plus loin possible de la
bâtisse. Mon esprit vacillant, orageux d’indignation, s’indignait parce
que je n’allais pas à ton plaisir, à ton alliance, mon Dieu – ce que pourtant tous mes os réclamaient, et portaient aux nues. On n’y allait pas en
bateau ni en quadrige ni à pied (ne serait-ce que les quelques pas pour
aller de la maison où nous étions assis…). Il suffisait de le vouloir. Non
seulement pour s’y rendre mais aussi pour arriver à destination. D’une
volonté puissante et entière. Pas d’une volonté coupée en deux qu’on
jette comme une toupie et qui se bat contre son autre moitié qui succombe.
20.
Je me débattais dans une fiévreuse hésitation. Comme souvent les
hommes, impuissants, parce qu’ils n’ont pas les membres qu’il faut ou
qu’ils sont enchaînés, ou avachis, ou paralysés quelque part. Je me suis
arraché les cheveux, frappé le front, serré le genou de mes doigts noués.
Je l’ai fait parce que je l’ai voulu. Mais j’aurais pu le vouloir et ne pas lefaire si la mobilité de mes membres n’avait pas suivi. Je me suis donc
beaucoup débattu, mais vouloir ne signifiait pas pouvoir. Je ne faisais
pas ce qui relevait d’un incomparable
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