Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
Oui, tu as tout chassé loin de moi. Tu es la vraie douceur suprême.
Tu as tout chassé pour prendre la place. Volupté la plus douce. Plus quela chair et le sang. Lumière la plus claire. Plus intérieure que tout secret.
Honneur le plus haut. Inaccessible à celui qui se grandit lui-même. Je
me libérais de la morsure des soucis. À toujours vouloir plus et davantage. Me vautrer dans ma libido qui me démangeait. Maintenant, je
bavardais avec toi.
Ma clarté. Ma richesse. Mon salut. Seigneur mon Dieu.
2.
Devant toi, j’ai préféré quitter doucement, plutôt qu’avec fracas, le
marché des beaux parleurs. Et surtout la compagnie de ces enfants qui
ne rêvaient ni à ta loi ni à ta paix, mais à des folies illusoires, à des combats de forum, et qui, pour leurs délires, m’achetaient mes paroles
comme on s’achète des armes. Par chance, dans très peu de jours,
c’étaient les vacances des vendanges. Je décidai donc de patienter
jusque-là, je renoncerais ensuite à mes fonctions, selon les règles. Tu
m’affranchirais alors de mes occupations vénales. Nous partagions ce
plan avec toi et personne d’autre, à part nos proches. Nous avions
convenu de ne rien dire à personne.
En remontant de la vallée des larmes, nous avons chanté le chant par
degrés. Tu nous as donné des flèches pointues et des charbons incandescents contre la fourberie de la langue qui ne pense que par contradictions
et qui n’aime que pour tout avaler, comme on mange quelque chose.
3.
Les flèches de ton amour ont transpercé notre cœur. Tes paroles nous
ont troué les entrailles. Nous les avons conservées en nous, comme les
exemples de tes esclaves que tu as fait passer de la noirceur à la lumière,
de la mort à la vie. Leur accumulation en nous formait un grand feu qui
a brûlé la profonde torpeur de nos pensées, nous a empêchés de retomber dans l’abîme, et nous a enflammés si fort que toute flatulence hypocrite de la langue ranimait notre feu au lieu de l’éteindre.
Mais comme tu avais déjà fait connaître ton saint nom sur toute la
terre, il y en aurait toujours eu pour nous féliciter de notre vœu et de
notre projet. Du coup, nous aurions pu faire figure de prétentieux sinous n’avions pas attendu l’échéance si proche des vacances, et si nous
avions renoncé plus tôt à une profession publique exposée aux regards
de tous. Et tous ceux qui observaient mes faits et gestes auraient vu que
j’avais voulu avancer la date si proche des vacances des vendanges, et
m’auraient sévèrement critiqué : j’aurais eu l’air de chercher à me grandir. Et à quoi bon laisser mon cœur être l’objet d’attaques et de disputes, de donner l’occasion de blasphémer ce qui est bon pour nous ?
4.
De plus, ce même été, un travail excessif avait affaibli mes poumons.
Respiration difficile. Douleurs de poitrine. J’étais atteint. Incapable de
parler clairement et pour longtemps. J’ai d’abord été très perturbé. Je
serais contraint de renoncer par nécessité à ma charge de professeur.
Ou, dans l’hypothèse qu’on réussisse à me soigner et me guérir,
contraint au moins à prendre du repos. Mais maintenant était née et
avait grandi en moi une volonté farouche de me libérer et de reconnaître que tu es le Seigneur – comme tu le sais, mon Dieu –, alors cette
perspective m’a rempli de bonheur. J’avais enfin une excuse valable à
opposer au mécontentement des parents qui, pour l’éducation de leurs
fils, ne voulaient jamais m’accorder un peu de liberté. Tout heureux, j’ai
donc supporté le temps qui restait jusqu’à l’expiration du délai – vingt
jours ? je ne sais plus. Mais il a fallu du courage pour supporter tout ce
temps. Surtout que l’ambition ne m’aidait plus à endurer le poids de
mes tâches. J’aurais été menacé d’écrasement si la patience n’avait
pas pris le relais. L’un ou l’autre de tes esclaves, mes frères, peut bien
m’accuser d’avoir commis une faute en acceptant d’occuper, ne serait-ce qu’une heure, la chaire du mensonge, alors même que j’étais déjà de
tout cœur à ton service. Je ne le nierai pas. Mais toi, Seigneur très compatissant, cette faute aussi, tu l’as pardonnée et effacée dans l’eau sainte,
avec toutes les autres, effrayantes et mortelles.
5.
Mais notre bonheur a rendu Verecundus fou d’angoisse. Très embarrassé, il voyait bien qu’il était exclu de notre communauté. Si lui
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