Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
sentiment et me plaisait infiniment – et que bientôt, dès que je le voudrais, je pourrais faire. Oui,
parce que bientôt vouloir, ce serait vouloir à toute force. Tandis que là,
la capacité d’agir se confond avec la volonté, et vouloir c’est faire. Mais
pourtant ça ne se fait pas. Il est plus facile pour le corps d’obtempérer
à la volonté la plus faible de l’esprit pour actionner les membres librement, qu’à l’esprit d’obtempérer à lui-même pour accomplir sa grande
volonté, et à l’aide de la seule volonté.
21.
D’où vient cette monstruosité ? Pourquoi ? Lueur de ta compassion.
Je veux interroger, si on peut me répondre, le subterfuge des châtiments humains et le si noir accablement des fils d’Adam. D’où vient
cette monstruosité ? Pourquoi ? L’esprit commande au corps qui lui
obéit aussitôt. L’esprit se commande lui-même, et il résiste. L’esprit
commande à la main de bouger, la chose est si facile qu’on distingue à
peine l’ordre de l’exécution. L’esprit est esprit. Mais la main est corps.
L’esprit commande à l’esprit de vouloir. Il n’est pas étranger à lui-même, et pourtant il ne le fait pas. D’où vient cette monstruosité ?
Pourquoi ? Je dis, il commande de vouloir, lui qui ne commanderait pas
s’il ne le voulait pas. Et il ne fait pas ce qu’il commande. Mais il ne le
veut pas totalement. Donc il ne commande pas totalement. En effet, il
ne commande que tant qu’il veut. Et ce qu’il commande ne se fait pas
tant qu’il ne veut pas, puisque la volonté commande à la volonté d’être
– pas à quelque chose d’autre mais à elle-même. Elle ne commande
donc pas entièrement. C’est pourquoi ce qu’elle commande n’existe
pas. Oui, si la volonté était entière, elle ne se commanderait pas d’être
parce qu’elle serait déjà. Pas de monstruosité, donc, dans cette volonté
qui en partie veut et en partie ne veut pas. C’est un esprit malade qui
ne se lève pas totalement quand la vérité le soulève, écrasé par l’habitude. Donc, il y a deux volontés parce qu’aucune des deux n’est totale,
et que ce qui est présent dans l’une est absent de l’autre.
22.
Que disparaissent devant ton visage, Dieu, comme disparaissent les
beaux parleurs, les beaux esprits, ceux qui constatent deux volontés dans
la délibération pour affirmer qu’il y a deux natures en deux entendements,
l’un bon, l’autre mauvais. Mais ce sont eux les mauvais quand ils conçoivent ces mauvaises pensées. Ils seront bons s’ils conçoivent la vérité et se
conforment à la vérité. Et que ton envoyé puisse leur dire : vous étiez
autrefois la nuit, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur.
En fait, ils ne voulaient pas être lumière dans le Seigneur mais
lumière en eux-mêmes. Ils pensaient que la nature de l’âme est d’être ce
que Dieu est. Et c’est ainsi qu’ils se sont faits nuit épaisse parce que
dans leur horrible arrogance ils se sont encore davantage éloignés de
toi. Vraie lumière qui éclaire tout homme venu en ce monde.
Attention à vos paroles. Rougissez. Approchez de lui. Vous êtes éclairés. Vos visages ne rougiront plus. Dans mes discussions pour servir
enfin le Seigneur, comme j’y étais disposé depuis longtemps, c’était moi
qui voulais, ou qui ne voulais pas, c’était moi. J’étais en lutte contre
moi-même. Dissocié de moi-même. Dissociation qui se faisait contre
mon gré, oui mais qui ne prouvait pas l’existence d’un esprit étranger
mais que mon esprit était puni. Je n’étais pas, moi, la cause d’un esprit
étranger. C’est le péché qui habitait en moi. En punition, puisque j’étais
fils d’Adam, d’un péché plus émancipé encore.
23.
En réalité, s’il y a autant de natures opposées que de volontés en
guerre contre elles-mêmes, il y en a plusieurs et non plus deux seulement. Quelqu’un se demande s’il ira dans une réunion de Manichéens
ou au théâtre, et les Manichéens crient aussitôt aux deux natures, la
bonne qui le conduit chez eux et la mauvaise qui l’éconduit ailleurs.
Sinon d’où viendrait cette indécision de deux volontés opposées ? Mais
les deux sont mauvaises, selon moi. Celle qui le conduit chez eux et
celle qui le détourne au théâtre. Mais eux croient que celle qui le
conduit chez eux ne peut être que la bonne. Et alors ? Si l’un des nôtres
hésite, tiraillé entre deux volontés contraires : aller au théâtre
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