Les chevaliers de la table ronde
discrète.
Cependant, les premiers ennemis étaient parvenus sous les
remparts, sur les bords des fossés. Ils lancèrent avec insolence leurs javelots
contre la porte en signe de défi. Après quoi, ils firent faire demi-tour à leurs
chevaux et commencèrent à rassembler le bétail qu’ils venaient de dérober dans
les étables voisines qu’avaient abandonnées les paysans avant de se réfugier
dans la forteresse. Voyant cela, Merlin se dirigea vers la grande porte.
« Ouvre ! dit-il au portier, afin que ces hommes puissent poursuivre
les ennemis ! – Je n’ouvrirai cette porte que sur l’ordre du roi Léodagan !
répondit le portier. – Ouvre, ou il t’arrivera malheur ! » s’écria
Merlin. Et comme le portier ne voulait rien entendre, Merlin posa sa main sur
le fléau, le souleva, écarta les battants aussi aisément que s’ils n’avaient
été clos par une bonne serrure et fit tomber le pont en le poussant rudement. Arthur
et les quarante compagnons qui s’étaient rassemblés autour de lui se
précipitèrent au-dehors sans même se rendre compte du prodige qui venait de s’accomplir
sous leurs yeux. Et quand ils furent tous sortis, le pont se releva de lui-même,
la porte se referma toute seule, le pêne tourna sans aide et le fléau retomba
de son propre mouvement, cela au grand ébahissement du portier qui n’y
comprenait rien.
Cependant, Arthur et ses quarante compagnons, ayant dispersé
une troupe d’Allemands qui emmenaient du bétail, rassemblaient les bêtes afin
de les ramener vers la forteresse. En voyant cela, les Allemands du duc Frolle,
au son des timbres, des cors, des buccins et des tambours, coururent sus au roi
Arthur et aux siens [15] . Et, toujours à son
poste d’observation, sur le haut des remparts, Merlin commençait à s’inquiéter,
car les Bretons étaient inférieurs en nombre, risquant de succomber sous la
charge de leurs ennemis. Il mit ses doigts dans sa bouche et aussitôt un sifflement
strident se fit entendre : une rafale de vent souleva un immense
tourbillon de poussière au milieu duquel les hommes du duc Frolle, complètement
aveuglés, s’éparpillèrent dans le plus complet désordre. En voyant cela, Arthur
et ses quarante compagnons piquèrent des deux et se lancèrent sur eux, lances
levées, les renversant impitoyablement et dispersant leurs montures.
Le roi Léodagan et ses hommes étaient restés à l’intérieur
de la forteresse. Mais quand ils s’aperçurent qu’Arthur était aux prises avec
les gens du duc Frolle, Léodagan donna l’ordre de sortir et de se lancer dans
la bataille. Il divisa sa troupe en deux corps, l’un sous son commandement, l’autre
sous celui de son sénéchal Cléodalis. Mais Léodagan se heurta très vite aux guerriers
de Claudas de la Terre Déserte et de Ponce Antoine. Les lances se heurtaient, les
épées frappaient les heaumes et les boucliers, et cela provoquait un tel
vacarme qu’on n’eût point entendu Dieu tonner et que les habitants qui s’étaient
réfugiés dans la forteresse croyaient que la fin du monde était arrivée. Cependant,
malgré tout leur courage, les hommes de Léodagan perdaient du terrain et se
voyaient sur le point d’abandonner le combat.
Le roi Arthur, qui avait réussi à mettre en fuite la troupe
d’Allemands, vit tout de suite que Léodagan était en mauvaise posture. Avec ses
quarante compagnons rassemblés derrière lui, au grand galop, il se précipita
comme une tempête sur les ennemis qui entouraient Léodagan, près de le faire prisonnier.
En quelques instants, le malheureux roi fut délivré. Puis, après lui avoir
donné d’autres armes et un nouveau destrier, ils repartirent à bride abattue
derrière leur porte-enseigne, sur leurs bons chevaux dégoulinants de sueur. Ils
s’élancèrent à la rescousse de Cléodalis qui avait fort à faire contre les
Romains. Dès le premier choc, ils abattirent tous ceux qui se trouvaient devant
eux, et se mirent à frapper comme des charpentiers sur leurs poutres.
Ponce Antoine, qui était un des plus vaillants combattants
qui fût alors au monde, ne put souffrir de voir ainsi ses troupes massacrées. Il
se jeta dans la mêlée avec ses meilleurs hommes. Mais le roi Arthur, qui avait
bien vu de qui il s’agissait, jura de se mesurer au Romain qui bataillait de la
sorte. Il demanda qu’on lui apportât une nouvelle lance, très dure, à fer
tranchant, et il se précipita vers l’ennemi. « Arthur ! s’écria alors
le
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