Les chevaliers de la table ronde
combat, bien
décidés à le conduire jusqu’à une complète victoire.
Le duc Frolle d’Allemagne montait un haut destrier très fort
et très rapide. Pendant tout le jour, il avait fait grand massacre des gens de
Léodagan. Quand il vit que les Romains et les hommes du roi Claudas lâchaient
pied et se préparaient même à s’enfuir, il eut un violent sursaut de colère. Il
saisit à deux mains sa masse de cuivre, si lourde qu’un homme ordinaire n’aurait
pu la soulever, et il se mit, grand et puissant comme il était, à assener de
tels coups qu’autour de lui le sang coulait en ruisseaux abondants. Pourtant, lorsque
celui qui portait son enseigne eut été abattu, les hommes qui l’entouraient se
mirent à fuir et il se retrouva seul. Alors, sans plus tergiverser, il fit
volte-face et s’éloigna au grand galop de son cheval. Personne ne s’aperçut de
sa fuite, sauf le roi Arthur, qui se mit aussitôt à sa poursuite.
C’est dans une vallée obscure, entre deux forêts très
sombres, qu’il le rejoignit. Le soleil baissait à cette heure et sa clarté s’égarait
dans les ramures des arbres. « Géant félon ! lui cria Arthur. Retourne-toi
et tu sauras qu’un seul homme te poursuit ! » L’autre fit volte-face
et ressentit un profond dépit quand il s’aperçut qu’effectivement il n’avait qu’un
seul poursuivant et qu’en plus il s’agissait d’un jeune homme de taille plutôt
moyenne qui paraissait un nain auprès de lui. Il fit bondir son cheval et s’élança
sur Arthur, sa masse au bout de son bras droit, tenant de sa main gauche son
bouclier d’ivoire. Au premier choc, le roi Arthur, brandissant sa lance, lui
transperça l’épaule. Mais le géant n’en parut même pas chagriné. Il fit tournoyer
sa masse afin de riposter, mais Arthur esquiva le coup en portant son cheval en
avant. Le mouvement fut si rude et si soudain que les deux chevaux se
heurtèrent et tombèrent. Frolle, qui était beaucoup plus puissant, mais aussi
bien plus lourd, était encore à terre lorsque son jeune adversaire, déjà
redressé, lui courait sus. Et l’épée Excalibur flamboyait au-dessus de sa tête.
Pour parer le coup, Frolle opposa sa masse : elle fut tranchée. Alors, quelque
peu stupéfait, Frolle tira sa propre épée. C’était une des meilleures lames au
monde, celle-là même dont Hercule se servit quand il mena Jason dans l’île de
Colchide pour conquérir la Toison d’or, et elle avait nom Marmadoise. Dès qu’elle
jaillit hors du fourreau, si grande fut la clarté qu’elle répandit que le pays
en fut illuminé et qu’Arthur fit un pas en arrière pour mieux la voir étinceler.
« Chevalier, dit le géant, je ne sais pas qui tu es, mais
pour la hardiesse que tu as eue en m’attaquant, je suis disposé à te faire
grâce. Donne-moi tes armes et je te laisserai aller. » En entendant ces
paroles, Arthur rougit de dépit et de colère. « C’est trop m’insulter !
s’écria-t-il. C’est à toi de baisser cette épée et de te rendre à merci ! Sache
que je m’appelle Arthur et que je suis roi de toute la Bretagne ! – Tu es
donc ce bâtard que les Bretons ont choisi pour être leur roi ! En vérité, les
Bretons manquent de guerriers pour en être réduits à choisir un inconnu dont on
ignore la famille et les origines ! Sache que j’ai nom Frolle et que je
suis duc d’Allemagne, fils d’un noble seigneur qui a accompli bien des exploits.
Je tiens tout le pays jusqu’à la Terre des Pâtures. Et plus loin, ce serait
encore à moi si l’on pouvait y passer. Mais on ne le peut à cause d’une statue
qui empêche quiconque de s’aventurer plus avant. C’est Judas qui l’a placée là
en guise de borne et pour marquer jusqu’où s’étendaient ses conquêtes. On la
nomme la Laide Semblance , et les anciens
disent que lorsque cette statue sera enlevée, les aventures du royaume de
Logres [17] cesseront. Mais je doute
que cela puisse arriver, car celui qui regarde cette statue en prend aussitôt
la monstrueuse figure. Et maintenant, toi qui te prétends roi des Bretons, sache
que je fais serment de ne plus connaître le goût du pain et du vin tant que je
te saurai vivant ! »
Ayant ainsi parlé, il se jeta sur Arthur. Celui-ci fit un
saut de côté et frappa son adversaire à l’œil droit : si son épée ne lui
eût tourné dans la main, il eût certainement tué le géant. Frolle sentit son
sang couler sur sa joue. Furieux, il se précipita sur
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