Les chevaliers du royaume
soldats ; que tous les prisonniers et les otages que nous avons faits. Plus importante que tout, car c’est leur Dieu que nous avons capturé !
Les Sarrasins s’interrogeaient : « Comment peut-on adorer ça ? » Certains riaient, d’autres singeaient la crucifixion : ils écartaient les bras, inclinaient la tête, tiraient la langue en signe d’agonie, et se laissaient tomber par terre en râlant. On chassa ces farceurs à coups de pied.
— Sans elle, à Montgisard, Baudouin IV était perdu ! poursuivit Saladin. Sans elle, aujourd’hui, les Franjis sont perdus !
Un tonnerre d’acclamations salua ses paroles.
— Allah est grand ! Allah est unique ! Il est le seul Dieu !
Dieu était incandescent. La chaleur était montée. On aurait dit que l’ancien volcan de Hattin se réveillait, joignant ses forces à celles des Mahométans.
— Afin que notre victoire ne soit jamais oubliée, j’ai donné l’ordre d’élever une stèle.
Il montra du doigt une petite construction de forme circulaire, commencée dans la journée. Un échafaudage l’entourait. Curieusement, alors que les murs n’avaient pas fini d’être montés, une croix de bois se dressait au sommet de l’édifice. Elle était à peu près aussi large que la Vraie Croix était grande. Au dessous d’elle, deux hommes encagoulés de noir, munis de maillets et de clous de fer, gardaient les bras croisés sur la poitrine. C’étaient des bourreaux.
— Gabriel m’a dit, reprit Saladin : « Dieu t’attendait. » Il m’a dit : « Aucune maison n’a plus de mérite que la tienne. » Il m’a dit : « C’est aux Ayyubides que revient l’honneur de rendre Jérusalem à l’Islam. » Il m’a dit : « Et c’est à toi, Saladin, qu’il revient d’unir tous les Mahométans sous une même bannière ! »
Les Syriens, les Égyptiens, les Yéménites et les Nubiens scandèrent le nom de Saladin. Les autres, des bédouins pour la plupart, ou ceux qui venaient de Bagdad, ne dirent rien. Une ombre était passée sur leur visage. Alors Saladin ordonna à Sohrawardi :
— Dis-leur ce que les djinns t’ont révélé !
— Tu prendras la ville, ô Splendeur de l’Islam. Mais tu perdras un œil !
Un murmure monta de la foule.
— Cela dût-il me coûter les deux yeux, déclara Saladin, que j’irais quand même !
On l’acclama. Il imposa le silence et poursuivit, d’une voix vibrante de colère et d’émotion :
— Tous les croyants n’étaient pas là, hier, à Hattin ! Où étaient-ils ? Où étaient les vrais Mahométans ? Ceux qui tardent à venir en aide à l’Islam ne cueilleront pas les fruits du paradis ! Le jihad est le devoir personnel de tout Mahométan. Pourquoi la maison des Ayyubides est-elle la seule à se battre ?
Il parcourut du regard ceux qu’il considérait comme les siens – les Syriens, les Égyptiens, les Nubiens, les Yéménites –, dans leur uniforme blanc au dos duquel étaient brodés des versets du Coran. Ceux-là, il les aimait. Puis il défia du regard les bédouins et ceux qui venaient de Bagdad. Parmi eux se trouvaient quelques chefs de tribus importantes. Mais beaucoup étaient restés chez eux, attendant pour se déplacer de connaître l’issue de la bataille. Parmi les plus courageux se trouvaient Dahrân Ibn Uwâd, le jeune cheik des Kharsa, une tribu de deux mille tentes – il n’avait pas treize ans, mais plaisait déjà beaucoup aux femmes ; Nâyif ibn Adid, l’impétueux cheik des Muhalliq, une tribu de trois mille tentes – un grand amateur d’art qui n’aurait pour rien au monde raté un combat ; Matlaq ibn Fayhân, le mystérieux cheik des Zakrad, une tribu de huit cents tentes – qui formait les meilleurs fauconniers du monde ; et enfin, bien qu’il fût, comme à son habitude, arrivé au tout dernier moment des hostilités, Rawdân ibn Sultân, le voluptueux cheik des Maraykhât, une tribu de mille cinq cents tentes – qui se déplaçait avec moult femmes, et s’abreuvait de vin.
Au moins seize autres tribus, représentant quelque trente mille tentes, avaient ignoré l’appel lancé le mois précédent par Saladin. Pour lui, c’était une insulte. Il s’enflamma :
— Tous doivent se joindre à nous ou périr comme des chiens, dans le désert ! Allez dire à toutes les tribus, à toutes les maisons, de rallier ma bannière pour que nous nous unissions dans la gloire d’Allah !
Malgré sa petite taille, il irradiait une
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