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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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métal s’enfonçant dans le bois. Châtillon n’avait pas desserré les dents.
    Les Sarrasins étaient en joie.
    — Souffre ! criaient-ils. Souffre bien ! Souffre longtemps ! Souffre toujours !
    La surveillance s’étant légèrement relâchée, Montferrat, Plebanus du Boutron et Onfroi IV de Toron se rapprochèrent de Morgennes. En d’autres circonstances, celui-ci aurait trouvé cela cocasse : Onfroi de Toron était connu pour sa lâcheté – qu’il ne niait ni ne cherchait d’ailleurs à cacher – et fuyait la compagnie des braves. Tous s’efforçaient d’avoir l’air aussi calme que possible, mais leurs sourires étaient crispés, et leurs traits tendus.
    Montferrat fit quelques pas devant Morgennes, le chercha du regard et, quand il l’eut trouvé, dénoua son foulard. L’écharpe de soie glissa de son cou, et tomba dans la poussière. Puis Montferrat baissa la tête, semblant attendre quelque chose, pendant que ses lèvres formulaient une patenôtre silencieuse.
    Soudain, un brusque mouvement de foule eut lieu du côté de la stèle. Un Franc d’une trentaine d’années (« Onfroi IV de Toron ! », constata Morgennes, effaré) escaladait l’échafaudage, une dizaine de mamelouks à ses trousses.
    — Fuyez ! s’écria alors Montferrat en bousculant le premier des mamelouks qui gardait Morgennes, tandis que Plebanus du Boutron empoignait le second.
    Aussitôt Morgennes se baissa, prit le foulard, et s’éclipsa, profitant de la foule et de l’obscurité pour disparaître. Montferrat le regarda s’enfuir et ne put s’empêcher de sourire une dernière fois, alors que les mamelouks se jetaient sur lui.

5.
    « Que ma doctrine ruisselle comme la pluie, que ma parole tombe comme la rosée, comme les ondées sur l’herbe verdoyante, comme les averses sur le gazon ! »
    (Deutéronome, XXXII, 2.)
    Le camp de Saladin s’étendait sur plus d’une demi-lieue, de Tibériade à Kafr Sebt. Morgennes gravit la pente à l’intérieur de la cuvette, puis dévala la colline. Il courut, d’abord à quatre pattes, comme un animal, se meurtrissant les mains et les pieds sur les roches du terrain, puis il se redressa. Ayant atteint le refuge d’un bosquet, il s’arrêta près d’un olivier et enroula le foulard noir autour de sa tête. Il ressemblait à un bédouin.
    Ses habits étaient sales et tachés de sang, troués en de multiples endroits, par lesquels on voyait sa peau brune, hâlée par le soleil. Sa fuite avait réveillé des souvenirs depuis longtemps endormis. Son enfance. Ses jeux avec sa sœur, leurs parties de cache-cache dans la montagne, leurs courses dans la neige, le vent glacé sur leur visage, leurs doigts engourdis par le froid, les flocons dans leurs cheveux, dans leurs yeux, dans leur bouche grande ouverte. Dans sa bouche grande ouverte… En fait, ce n’était pas Morgennes adulte qui avait couru, c’était Morgennes enfant. Il avait couru comme jadis il avait fui, de l’autre côté du fleuve, vers la chapelle et la forêt… Avant cette course, il ne se rappelait même pas avoir eu une enfance. À l’instar d’Ulysse, ce lointain cousin qui l’avait précédé dans l’errance, Morgennes avait provoqué la fureur divine. Une malédiction avait en partie effacé sa mémoire. Il était depuis lors naufragé en Terre sainte, condamné à rester loin de son foyer jusqu’à ce qu’une main charitable l’y ramène.
    Mais y avait-il quelque part une Pénélope, un Télémaque ? Il ne se rappelait plus. En vérité, il ne se rappelait même pas avoir oublié – pour lui, il n’y avait que la prison du présent.
    Tout ce que Morgennes savait de son passé était ou récent, ou très ancien. Mais il avait oublié jusqu’aux raisons de sa venue en Terre sainte, ses premiers exploits – bien qu’on les lui eût rapportés plusieurs fois –, et tout ce qui fait qu’un homme a vécu. Morgennes se sentait bien un passé, une histoire, mais était-ce la sienne ? Ce pouvait être celle d’un autre, il n’y aurait pas vu de différence. D’une certaine façon, il était né il y a moins d’un an. Lorsqu’il avait été nommé gardien du Saint Bois. D’autres chevaliers de l’Hôpital avaient rêvé d’être élevés à cet office, lui non. N’étant pas assez fin politique, il ne s’était jamais retrouvé à la tête de cette caste. Des gens veillaient sur lui, des amis. Des gens qui pensaient du bien de lui, connaissaient son histoire, les épreuves

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