Les chevaliers du royaume
cette chaîne de montagnes de sinistre réputation ? Elle grouillait de repaires d’une des branches les plus honnies de la secte ismaïlienne des Batinis : les Assassins. C’est alors que Josias se rappela que les petites galettes de froment, posées sur la console du pape, étaient envoyées par les Assassins à leurs futures victimes pour les prévenir qu’elles étaient entre leurs mains…
Détail curieux, Wash el-Rafid portait sur la poitrine un symbole, celui-là même que Sa Sainteté Eugène III avait accordé en 1147 aux Templiers, lors de la première réunion du chapitre général de leur maison, « afin que ce signe triomphal leur soit un bouclier pour qu’ils ne fuient devant aucun infidèle » : une croix vermeille, qui le signalait comme Templier.
Au moment même où le regard de Josias s’y arrêtait, Wash el-Rafid se l’arracha d’un geste rageur et déclara d’une voix tremblante de douleur :
— Je ne suis plus digne de la porter. Tant que la Sainte Croix ne sera pas retrouvée, mon vêtement demeurera aussi vierge que celui des premiers Templiers.
Puis il ouvrit le poing, et la croix vermeille tomba à ses pieds, dans l’obscurité.
10.
« Les habitants de la terre se divisent en deux, ceux qui ont un cerveau, mais pas de religion, et ceux qui ont une religion, mais pas de cerveau. »
(Aboul-Ala al-Maari.)
La carriole remontait la rue en bringuebalant, pareille à une barque agitée par les flots. Circulant dans une mer de tentes aux teintes bariolées, d’étals de marchandises autour desquels se pressait une foule compacte, elle évoquait ces frêles esquifs qu’un courant défavorable entraîne vers le large quand ils voudraient rentrer au port. Parfois, elle ralentissait comme au creux d’une vague, tanguait de tous côtés, s’effondrait sur elle-même, se perdait dans cette marée humaine, disparaissait quand des cavaliers la frôlaient, puis réapparaissait pour aller de l’avant. On aurait pu croire qu’une main invisible la tirait vers son but, inexorablement.
Son propriétaire était un nain à la démarche claudicante, un Juif exerçant la très lucrative et non moins périlleuse profession de marchand de reliques. Bien sûr, il ne se donnait pas comme tel à qui venait le voir. Du moins pas immédiatement. Très vite, pourtant, le masque du vendeur de souvenirs tombait pour révéler le visage du trafiquant. À vrai dire, les deux se ressemblaient. La seule chose qui changeait, c’étaient les prix. Telle flasque pleine d’eau mélangée a de la poussière de craie valait dix dinars, ou cent besants d’or quand il était dit, sous le sceau du secret, qu’il s’agissait en fait d’un reste de lait de la Vierge, recueilli on ne sait comment. Le client, le plus souvent un pèlerin sur le chemin du retour, se mettait à compter les étoiles, les yeux écarquillés. « Le paradis à portée de main », pensait-il un sourire aux lèvres, en caressant la flasque. S’il discutait un peu, il pouvait l’avoir pour trois cents dinars. Rares étaient ceux qui le faisaient. Douter de l’origine des reliques était sacrilège pour la plupart d’entre eux. Saint Bernard de Clairvaux en avait, dit-on, avalé tout un flacon. Le liquide n’était pas censé être consommé, personne ne garantissant la bonne conservation d’un lait plus de mille ans. Fort heureusement pour la chrétienté, saint Bernard, grâce à sa forte constitution, en avait été quitte pour une bonne colique, et quelques jours de prière dans la fosse d’aisances de Clairvaux.
Le commerce des reliques rapportait beaucoup mais sa pratique n’était pas sans danger. En effet, ceux qui se livraient au commerce des morceaux de corps ou des lambeaux de vêtements ayant appartenu à un mort, ne faisaient rien d’autre qu’entamer le monopole des religions en matière de salut. En quelque sorte, ceux qu’ils volaient, ce n’était pas leurs clients, c’était l’Église elle-même, c’était Dieu.
Aussi ce crime était-il sévèrement puni. Mais de diverses façons. Car si aux gardes qui se montraient un peu trop tatillons on pouvait donner un doigt de saint Mamas ou quelques poils de la barbe du Prophète pour qu’ils ferment les yeux, il n’en allait pas de même avec les ordres militaires.
Chaque fois que des Templiers ou des Hospitaliers démasquaient un de ces trafiquants – soit qu’ils l’eussent rencontré aux abords d’une tombe, soit qu’ils se fussent fait
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